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Quand la cellule devient médicament

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Publié le 12/03/2018
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Discipline tout aussi novatrice que la thérapie génique*, la thérapie cellulaire a longtemps été freinée dans son développement par les considérations éthiques liées au statut de l’embryon. Si aujourd'hui les recherches reprennent, ses promesses de régénération des tissus à l’infini ne sont pas encore réalisées.
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Crédit photo : PHANIE

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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

La thérapie cellulaire consiste à greffer des cellules pour « restaurer la fonction d’un tissu ou d’un organe », explique l’INSERM. Ceci dans le but de soigner durablement et en un seul traitement à base de cellules thérapeutiques provenant du patient lui-même (autologues) ou provenant d’un donneur (allogènes). L’objectif ? Remplacer les cellules défaillantes ou disparues. Les premières applications en médecine humaine ont lieu dans les années 1970. Au-delà des transfusions sanguines, la thérapie cellulaire connaît des applications depuis une quarantaine d’années dans la reconstitution d’épiderme à partir de cellules-souches autologues pour les grands brûlés, et, depuis une trentaine d’années, avec le développement de la greffe de moelle osseuse dans les leucémies.

Mais des considérations éthiques ont freiné son développement. Car la recherche s’est d’abord focalisée sur l’utilisation des cellules-souches embryonnaires, capables de se multiplier à l’infini et de donner n’importe quel type de cellules (pluripotence). Elles sont issues de la blastula, cet ovule fécondé depuis quelques jours et devenu un amas d’une centaine de cellules. Le prélèvement de cellules-souches embryonnaires, entre 5 et 7 jours après fécondation de l’ovule, nécessite la destruction de cette blastula. La question éthique du statut de l’embryon n’a pas été tranchée une fois pour toutes, mais la loi de bioéthique en France a progressivement permis la recherche sous conditions : sur dérogation, sur les cellules-souches embryonnaires issues d’embryons surnuméraires obtenus par fécondation in vitro et congelés en prévision d’un projet parental finalement abandonné, et avec le consentement écrit des parents biologiques.

Mais selon les pathologies visées, il peut être intéressant de se tourner vers les cellules-souches adultes, multipotentes, donc donnant un nombre plus limité de types de cellules. Les plus utilisées sont les cellules-souches mésenchymateuses présentes dans tout l’organisme au sein du tissu adipeux, de la moelle osseuse, des tissus de soutien des organes, mais également au sein des os, des cartilages, des muscles… qui peuvent donner naissance, selon leur tissu d’origine, à des cellules cartilagineuses (chondrocytes), osseuses (ostéoblastes), graisseuses (adipocytes), à des fibres musculaires (myocytes), des cardiomyocytes, etc.

Prix Nobel

En 2006, le chercheur japonais Shinya Yamanaka révolutionne la recherche en thérapie cellulaire. Sa prouesse ? Avoir trouvé le moyen de reprogrammer n’importe quelle cellule-souche adulte de façon à lui redonner le caractère de pluripotence propre aux cellules-souches embryonnaires. Ces IPS ou Induced Pluripotent Stem sont non seulement capables de proliférer à l’infini et de se différencier en tout type de cellule de l’organisme, mais elles sont aussi faciles d’accès, en quantité illimitée, et ne posent aucun problème éthique. Elles sont, pour le moment, surtout utilisées pour modéliser une pathologie, pour détecter puis tenter de corriger la mutation observée, ou bien pour tester des molécules thérapeutiques ou la toxicité d’un produit. Elles ne sont pas encore employées en tant que thérapie cellulaire car certaines modifications du génome acquises au cours de la vie de la cellule ne sont pas supprimées par sa reprogrammation. Cette découverte essentielle a valu à Shinya Yamanaka le prix Nobel de médecine en 2012.

Les essais cliniques développés grâce aux cellules-souches embryonnaires et adultes ces dernières années visent par exemple à régénérer la rétine en cas de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ou à restaurer la fonction cardiaque après un infarctus du myocarde. Les champs sont innombrables puisque toutes les dégénérescences peuvent être visées (musculaire, visuelle, cutanée) mais aussi toute lésion ou défaillance d’un organe (AVC, infarctus, diabète, arthrose, Alzheimer, accident, etc.).

Médecine de demain

Alors que les possibilités de la thérapie cellulaire semblent illimitées, les traitements à base de cellules-souches ne se bousculent pas. La Corée autorise depuis 2013 l’injection de cellules-souches mésenchymateuses allogéniques dans l’arthrose. Au Canada, on propose l’injection de cellules-souches mésenchymateuses allogéniques pour traiter la maladie du greffon contre l’hôte chez l’enfant. En Europe, Holoclar est le seul traitement de ce type. Il est autorisé depuis février 2015 dans le traitement chez l’adulte de la déficience en cellules-souches limbiques modérée à sévère causée par des brûlures oculaires chimiques ou physiques. La thérapie consiste à prélever des cellules limbiques chez le patient, cellules qui sont cultivées in vitro avant de lui être réinjectées dans une version capable de réparer la surface de la cornée endommagée.

Considérée comme « la médecine de demain », la thérapie cellulaire arrive donc à pas comptés, à la fois parce qu’elle représente un véritable défi scientifique, mais aussi parce qu'elle questionne l'éthique.

* Voir notre édition du 12 février.

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3418