Le dimanche 12 février, l’ANSM publie sur son site le compte rendu d’une réunion du comité technique de pharmacovigilance du 13 septembre 2016. Il y est question de « quatre cas de choc septique sur entérocolite avec docétaxel Accord » et de l’ouverture d’une enquête de pharmacovigilance concernant l’ensemble des spécialités à base de docétaxel. Cette publication lance les hostilités. Alors que l’Agence et l’INCa préparent un courrier à destination des oncologues, « Le Figaro » dégaine le premier. Dans son édition du 15 février, il pointe du doigt le décès de cinq femmes entre août et février, âgées de 46 à 73 ans, atteintes d’un cancer du sein et traitées par docétaxel, accusant ouvertement l’ANSM d’« investiguer sur des cas graves d’effets indésirables sans informer le grand public ni prendre de décisions de sécurité sanitaire et communiquer sous la pression des médias ». Quasiment au même moment, l’Agence publie un point d’information et une lettre à destination des oncologues sans notifier de recommandations particulières. Deux jours plus tard, après que le quotidien a affirmé que le nombre de décès imputables au docétaxel est passé de cinq à sept, l’Institut national du cancer (INCa) recommande, en lien avec l’ANSM, « à titre de précaution, d’éviter temporairement l’utilisation du docétaxel dans les cancers du sein localisés, opérables ». Et de le remplacer par le paclitaxel.
Une littérature rare
Le dossier du docétaxel est l’un des 45 dossiers classés prioritaires parmi les 110 enquêtes de pharmacovigilance en cours à l’ANSM. En 2016, onze cas d’entérocolites sous docétaxel auraient été notifiés. Alors que la neutropénie est l’effet indésirable le plus fréquemment observé avec le docétaxel, les cas d’entérocolite fatale sont rares. Une seule recension en fait état dans un article paru en 2012 dans le « Journal de pharmacie clinique »*. Les effets secondaires du Taxotère sont connus depuis sa découverte, au milieu des années 1980, par le pharmacien chimiste Pierre Pottier. En revanche, la recrudescence subite de ces cas dans un délai très court, et leur issue fatale, est inédite.
L’enquête de pharmacovigilance a déjà permis de s’assurer de la qualité des lots de docétaxel utilisés et d’écarter toute erreur de dosage. L’attention particulière portée sur cet anticancéreux s’explique surtout par le profil des patientes décédées : des femmes dont le cancer du sein était opérable et dont le pronostic vital était favorable. Alors que le générique utilisé, le docétaxel Accord, est montré du doigt, l’ANSM rappelle que le Laboratoire Accord a remporté un appel d’offres lancé par les centres de lutte contre le cancer, ce qui lui permet d’occuper plus de 50 % du marché français, le princeps de Sanofi, le Taxotère, n’en occupant plus que 3 %. En outre, si la formulation du produit a bien changé en 2010, cela concerne toutes les spécialités contenant du docétaxel, princeps compris. Quant aux objectifs visés par cette formulation, il s’agissait seulement de simplifier la préparation de la perfusion en proposant une forme en un seul flacon prêt à l’emploi plutôt que deux flacons exigeant une reconstitution. Néanmoins, le directeur de l’ANSM, Dominique Martin, reconnaît « une augmentation des effets secondaires observés après le changement de formulation, mais l’évaluation de l’EMA (Agence européenne du médicament) l’a jugé sans conséquence grave et a maintenu un rapport bénéfice-risque favorable ». Une étude in vitro de l’EMA a montré que la reformulation du médicament obtenait une dose moyenne de docétaxel supérieure de 1,01 % à celle de l’ancienne formulation. De plus, la légère augmentation du taux de notification d’effets indésirables graves n’a pas entraîné une hausse des décès.
Pas rassurés, certains oncologues français ont néanmoins tiré la sonnette d’alarme. Ainsi, le Dr Hélène Simon, chef du service d'oncologie médicale au CHRU de Brest, a cessé de prescrire ce médicament il y a cinq ans, après plusieurs cas d’intoxications chez ses patientes. Le directeur du Centre des maladies du sein de l’hôpital Saint-Louis à Paris, le Dr Marc Espié, a fait la même observation sur ses patientes sous docétaxel Hospira, le générique du Laboratoire Pfizer. Il évoque « des cas de neutropénie mais aussi de toxicité cutanée ». « À l’époque, nous avons fait remonter l’information au niveau de notre pharmacien hospitalier et du fabricant, mais aucune anomalie n’a été décelée. »
Une fréquence anormalement élevée
Cette suspicion subite sur un produit utilisé depuis plus de vingt ans auprès de milliers de femmes atteintes de cancer du sein dans le monde, mais aussi de personnes souffrant d’autres cancers, utilisé en adjuvant, en néoadjuvant, en première, seconde et troisième ligne, ne cesse d’interroger la communauté scientifique. Notamment parce que les décès sont liés à une neutropénie alors que les troubles digestifs n’interviennent que dans 2 % des cas, que les nécroses sont exceptionnelles, et les décès encore davantage. « Cette fréquence est anormalement élevée », affirme le Pr Jean-Marc Ferrero, directeur du service d'oncologie médicale du Centre Antoine-Lacassagne, et membre du Comité de pilotage du Cancéropôle PACA. Les conjectures vont bon train : tandis que certains se saisissent de l’affaire pour relancer le débat sur les génériques, d’autres interrogent la qualité d’un excipient ou même l’absence d’AMM dans l’utilisation du docétaxel en néoadjuvant. Cet usage est pourtant généralisé et n’a jamais suscité d’alertes spécifiques. « Tant que nous ne saurons pas s’il s’agit d’entérocolites infectieuses dont ont souffert les patientes décédées, il sera difficile de répondre à ces questions », estime de son côté le Pr François Chast, pharmacien chef de service à l'hôpital Necker-enfants malades. Pour autant, les équipes de cancérologie doivent pouvoir répondre aux femmes traitées par docétaxel, légitimement inquiètes depuis la semaine passée, et expliquer à tout patient les différentes options thérapeutiques individuelles. Selon les oncologues, quinze jours après l’injection de docétaxel, le risque est nul.
Pour le Pr Ferrero, même si la procédure passe outre le principe de présomption d’innocence, la décision de l’ANSM a été la bonne. Pour les oncologues invités à prescrire du paclitaxel (Taxol), l’alternative ne pose aucun problème éthique, ni médical, aucun effet neuropathique n’étant à redouter avec cette molécule tant qu’elle est administrée de façon hebdomadaire. En revanche, cette administration hebdomadaire (versus une administration toutes les trois semaines pour le docétaxel) soulève des problèmes logistiques, certains hôpitaux de jour étant déjà en flux tendu. Mais c’est là un autre débat…
* Auffret M, Descamps A, Thomas C, Bonenfant C, Desmaretz JL, Canevet C, Entérocolite neutropénique associée au docétaxel, un effet rare mais redoutable : à propos d’un cas. J Pharm Clin 2012 163-6.
Pharmaco pratique
Accompagner la patiente souffrant d’endométriose
3 questions à…
Françoise Amouroux
Cas de comptoir
Les allergies aux pollens
Pharmaco pratique
Les traitements de la sclérose en plaques