Dermatologie pratique

La peau qui… se couvre de poils

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Publié le 21/11/2019
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Les poils en excès, cela ne se voit pas chez l’homme, car il accueille de la pilosité sur les zones androgénodépendantes, et les zones non androgénodépendantes. Chez la femme, des poils anormaux définissent des situations cliniques différentes.
Hyperpilosité dermocorticoides

Hyperpilosité dermocorticoides
Crédit photo : dr

hyperpilosité ciclosporine

hyperpilosité ciclosporine
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hyperpilosité

hyperpilosité
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La première situation clinique sur laquelle la médecine peut agir médicalement est :

L’hirsutisme

Définition : Hyperpilosité androgéno-dépendante caractérisée par l'apparition de poils dits testoïdes (durs et noirs) au niveau des zones normalement glabres, comme le visage sur les branches montantes des maxillaires, le menton, la lèvre supérieure, le conduit auditif externe, mais aussi le thorax au niveau de la ligne inter-mammaire, de la zone péri-aréolaire. Sur l’abdomen, les poils dessineront la ligne blanche et un losange ombilico-pubien. Sur les membres inférieurs, ce seront la face interne et face postérieure des cuisses. Enfin n’oublions pas les régions périanales, et la face dorsale des doigts. Il ne sera pas rare de voir se développer une alopécie androgénogénétique qui se manifeste par la raréfaction de la chevelure sur le sommet de la tête, en laissant intacte une bande de cheveux dans la zone frontale antérieure et temporale (contrairement à l'aspect observé chez l'homme), et d’autres signes d’hyperandrogénie comme l’hyperséborrhée, une acanthosis nigricans (souvent associée à une obésité, un diabète ou à l'hirsutisme), une hidrosadénite suppurée.

L'hypertrichose

L’hypertrichose est autre. Développée aux dépens des poils somatiques, elle est le plus souvent généralisée et héréditaire. Il s'agit de l'exagération de la pilosité normale sur des zones normalement pileuses.

La prise en charge est avant tout clinique !

Et oui, la biologie n’est pas toujours au rendez-vous. Car ce ne sont pas toujours des taux élevés de telle hormone qui entraînent l’hyperpilosité, c’est parfois l’accroissement de l’activité de l’hormone lorsqu’elle arrive au sein de la cellule.

Rien ne vaut un questionnement. Plus long sera-t-il plus grande seront les chances de découvrir l’origine de ces poils disgracieux.

Il y aura souvent des antécédents analogues dans la famille (mère, sœurs). L’origine ethnique : méditerranéenne, européenne, africaine donnera quelques informations pour des pilosités non hormonales. Connaître le mode et date de début par rapport à la puberté, par rapport à une grossesse, par rapport à la ménopause est essentiel, tout comme son évolutivité.

Et puisqu’il s’agit d’une femme son histoire gynécologique avec la date des premières règles, l’existence de troubles menstruels : cycles irréguliers, métrorragie (« c’est l’utérus qui saigne » autrement dit des saignements en dehors des règles), ménorragie (menos ce sont les règles, donc qui durent ou qui sont abondantes), bien que souvent considérées comme normales tant elles sont ainsi de façon habituelle, fournissent un élément anamnestique supplémentaire qui oriente vers un trouble hormonal. Ces ménorragies induisent en outre une carence martiale, qu’il conviendra de corriger, puisqu’en effet, la 5-alpha-réductase, enzyme qui catalyse la transformation de la testostérone en dihydro-testostérone est inhibée in vitro par le fer (Sugimoto, 1995.)

Spanioménorrhée (« spanio » c’est peu, donc espacement des périodes de règles), aménorrhée (« a » privatif, donc pas de règles), syndrome prémenstruel (ce sont les douleurs avant et au début des règles (tension mammaire, douleurs pelviennes…), stérilité, ménopause, date des dernières règles et bien sûr les traitements en cours et le mode de contraception.

En pratique

Dans ma pratique, c’est rarement l’hyperpilosité qui motive la consultation d’une patiente chez qui une hyperandrogénie va être révélée. J’ai pu constater que la profusion de poils en certains territoires anatomiques motivait peu une demande de prise en charge.

Deux situations sont en revanche plus fréquemment rencontrées. Tout d’abord l’acné de la femme jeune ou un peu moins jeune, et l’alopécie androgénétique qu’il faut bien distinguer de la simple chute de cheveux.

Lorsque le motif de consultation porte en revanche sur une chute de cheveux, il conviendra de la distinguer de l’alopécie, cette dernière n’étant que la résultante d’une chute de cheveux persistante, dont l’importance est supérieure à celle de la repousse. L’examen du cuir chevelu ne montrera pas l’hyperpilosité si la malade n’est pas déshabillée.

Quels dosages biologiques ?

Le choix des examens complémentaires doit être soigneusement pesé. Il passera par plusieurs étapes qu’il importera d’expliquer à la patiente. Tout d’abord un bilan de débrouillage qui aura l’avantage de révéler si tel était le cas une forme majeure d’hyperandrogénie. Cette première étape consiste en un bilan statique, c’est-à-dire que l’on dose les hormones sans observer leur réactivité à une stimulation ou une frénation : dosage de la testostérone, du sulfate de DHEA (déhydroépiandrostérone), et de la 17 hydroxyprogestérone.

Le dosage du delta 4 androstène dione, peut être considéré comme superflu, dans le sens où, bien que reflétant plus directement que la testostérone l’excès de production ovarienne et/ou surrénalienne, ses variations circadiennes et menstruelles rendent son interprétation difficile.

Le dosage du cortisol libre urinaire, sur recueil des 24 heures, n’aura d’intérêt qu’en cas d’hypercorticisme manifeste avec son cortège de signes cushingoïdes.

Faut-il doser les métabolites des androgènes fruits de leur consommation ou transformation périphériques, comme le 3 alpha androstène diol ou le dihydrotestostérone ? En pratique cela est inutile car la clinique à elle seule vous convainc de l’existence de cet état d’hyperandrogénie.

La normalité du bilan biologique statique n’élimine pas un véritable état d’hyperandrogénie. En effet les dosages ne témoignent de la sécrétion qu’à un instant t, et ne permettent pas de vision quantitative globale de la sécrétion sur 24 heures.

Que penser des tests dynamiques ?

Les tests dynamiques ne seront pas systématiquement réalisés, tant l’imagerie (échographie, scanner, IRM) est aujourd’hui réalisée devant ce type de pathologie.

Le test au LH-RH dosant la LH et FSH va permettre d’objectiver, une augmentation importante du taux de LH.

Le test au synacthène, en suivant l’évolution du taux des substrats des enzymes que l’on pressent déficitaires va caractériser une anomalie génétique le plus souvent partielle, expliquant l’augmentation de la voie de synthèse des androgènes surrénaliens.

Rares sont les tumeurs

Rares sont les tumeurs ovariennes androgéno-sécrétantes, ou les tumeurs surrénaliennes. Elles seront détectées la plupart du temps par l’examen morphologique simple qu’est l’échographie abdomino-pelvienne, dont l’indication impérative reposera sur l’élévation du taux des hormones dosées en première intention (testostérone, sulfate de DHEA, 17 hydroxyprogestérone). Cette pathologie tumorale sera d’autant plus à évoquer, que le sujet victime d’une hyperandrogénie est jeune, voire prépubère, ou que les manifestations cliniques sont explosives et rapidement progressives.

Évoquer un diagnostic de syndrome de Cushing sera, dans la pratique médicale habituelle, relativement peu fréquent. Si les signes cliniques orientent vers cette hypothèse (érythrose faciale, répartition facio-tronculaire des graisses, vergetures rosées…), alors la cortisolurie des 24 heures sera le premier marqueur biologique pertinent.

Les grandes causes d’hyperpilosité en dermatologie

La plus grande pourvoyeuse d’états d’hyperandrogénie vus en dermatologie est sans nul doute la dystrophie ovarienne polymicrokystique. Nous sommes là très loin du fameux syndrome de Stein-Leventhal, si facilement ancré dans nos mémoires.

Ne pas trouver de kystes ovariens à l’échographie pelvienne n’écarte pas le diagnostic, car c’est parfois la seule échographie par voie transvaginale qui va révéler ces kystes dont le nombre et la taille seront notés.

Le syndrome des ovaires polymicrokystique s’accompagne aussi, outre d’une élévation concomitante du DHEA, mais aussi dans près de 20 % des cas de la prolactine.

Enfin lorsque toutes ces explorations sont mises en défaut, il est habituel de conclure, sans preuve d’ailleurs, à l’existence d’une hyperactivité de la 5-alpha réductase périphérique, expliquant une activité accrue des androgènes au niveau de la peau.

L’hyperpilosité qu’elle soit liée ou non à une anomalie hormonale, justifie d’une prise en charge étiologique, la clinique et des examens biologiques et morphologiques simples, permettant d’en trouver la cause, mais implique des procédures thérapeutiques appropriées.

Le traitement

Le traitement ne peut être seulement une épilation, fut-elle électrique, par laser, ou tout autre moyen. Si certes elle a apporté confort et bénéfices aux maladies, il ne faut pas oublier de traiter la cause, l’excès des androgènes, dont leur action délétère pourra se faire sur d’autres systèmes comme le système cardiovasculaire, ou induire une alopécie.

Alors nous disposons de moyens médicamenteux. L’acétate de cyproptérone n’a pas le vent en poupe, et compte tenu des risques de tumeurs notamment cérébrales et hépatiques, il ne sera pas utilisé. En revanche, certaines molécules vont mettre au service du médecin leurs propriétés antiandrogéniques, comme la spironolactone.

La correction des troubles du cycle se fera au moyen d’hormones estrogéniques et progestatives.

La pilosité n’est pas seulement une question esthétique. C’est un signe qui oriente vers des troubles.

Pr Philippe Humbert, dermatologue et spécialiste en médecine interne

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3559