L’infection au virus chikungunya peut entraîner une atteinte du système nerveux. C’est sur l’île de la Réunion que la preuve en a été faite suite à la forte épidémie de 2005-2006. « Près de 300 000 personnes ont été infectées, explique le Dr Patrick Gérardin, pédiatre- épidémiologiste au CHU de Saint Pierre et co-auteur principal avec Thérèse Couderc de l’institut Pasteur. L’importance de l’épidémie sur un petit territoire a fait ressurgir les cas neurologiques. Et contrairement aux Indes où les cas d’infection se comptaient en millions mais où les très nombreuses descriptions d’atteintes neurologiques présumées au virus n’étaient pas vérifiées, nous avions ici les infrastructures et les moyens techniques pour le mettre en évidence ».
Entre septembre 2005 et juin 2006, la responsabilité du virus chikungunya a été établie chez 57 patients ayant des troubles neurologiques, dont 24 avec une encéphalite. Pour évaluer le risque de séquelles à terme, les patients ont été suivis 3 ans après l’épidémie, soit jusqu’en 2009. « Beaucoup de temps a été perdu pour la publication en raison de distinction entre encéphalopathie et encéphalite, explique le Dr Gérardin. La nouvelle définition internationale a définitivement été adoptée en 2013-2014. » Celle-ci repose sur le critère majeur de l’état mental altéré (niveau de conscience, léthargie, ou changement de personnalité durant plus de 24 heures avec plusieurs des critères mineurs suivants : fièvre ≥ 38 °C dans les 72 heures précédentes ou suivantes ; convulsions partielles ou généralisées ; signes de localisation neurologiques ; taux de leucocytes ≥ 5/mm3 dans le LCR ; imagerie cérébrale évocatrice. L’incidence cumulée d’encéphalite liée au virus était de 8,6 pour 100 000 personnes infectées. L’encéphalite au chikungunya était observée aux deux extrêmes de la vie. Pour les moins de 1 an, l’incidence cumulée de cette forme grave était de 187 pour 100 000 bébés de moins de 1 an infectés et de 37 pour les plus de 65 ans. Ce qui était « pour les deux, bien supérieur aux causes cumulées d’encéphalite aux États-Unis dans ces catégories d’âge », indiquent les auteurs. La mortalité de l’encéphalite liée au chikungunya était de 16,6 % et la proportion d’enfants avec des handicaps persistants à leur retour à domicile était de 30 à 45 %.
Coma et convulsions
La période néonatale mise à part, les adultes, surtout les plus de 65 ans, se sont révélés être les plus exposés aux complications neurologiques. « Il pouvait s’agir de démence, les autres causes possibles telles que l’alcool, un Alzheimer débutant ou le diabète étant exclues, détaille le Dr Gérardin. Mais il y avait aussi des troubles du comportement, qui pouvaient être très variés. »« Chez les nouveau-nés, l’encéphalite était suspectée sur des extrémités froides, un bébé douloureux qui n’arrive pas à téter, poursuit-il. Dans les formes graves, le nouveau-né était dans le coma avec des convulsions. La fièvre n’était pas forcément présente ».
Les chercheurs de la Réunion ont mis en évidence que 50 % des bébés étaient contaminés si la mère était virémique lors de l’accouchement. « Parmi ces 48 % de nouveau-nés infectés, la moitié aura une encéphalite avec un risque élevé d’infirmité motrice cérébrale, de microcéphalie et d’épilepsie. Après cette période, le tableau est moins grave avec des troubles neuro-développementaux légers, comme un déficit de l’attention. Heureusement, les cas où les mères sont virémiques pile au moment de l’accouchement sont rares ». Un essai mené aux Antilles en collaboration par le Pr Marc Lecuit du centre Necker-Pasteur AP-HP et le Pr Bruno Hoen du CHU de Pointe-à-Pitre est actuellement en cours pour tester les immunoglobulines polyvalentes en prévention et le traitement des infections néonatales à chikungunya.
Neurology, publié en ligne le 26 novembre 2015
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