Si le potentiel santé d’un aliment a longtemps été conditionné uniquement par sa composition en nutriments, cette approche est aujourd’hui balayée par un nouveau concept : « l’effet matrice ». Ainsi, deux aliments de composition nutritionnelle très proche n’auront pas la même action sur l’organisme.
En effet, les interactions entre les différents nutriments jouent un rôle sur leur vitesse d’absorption, leur biodisponibilité, leur métabolisme et leur effet satiétogène. « Au-delà de ses nutriments considérés isolément, il faut penser l’aliment comme ayant un rôle multifonction, ceci signifie qu’il ne suffit pas de simplement rajouter un nutriment pour obtenir un effet, explique le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille. Cela s’applique à beaucoup d’aliments mais les produits laitiers, avec leur énorme complexité, en sont un très bon exemple ».
Des effets cardiovasculaires inattendus
La première démonstration de l’effet matrice appliquée aux produits laitiers a bouleversé les idées reçues. En effet, une équipe danoise a démontré la capacité du calcium à se lier aux acides gras et réduire l’absorption intestinale des lipides, évitant ainsi les conséquences négatives, initialement attendues, des produits laitiers non écrémés sur le cholestérol et le risque cardiovasculaire.
Publiée en 2018, l’étude internationale PURE (1), menée pendant 9 ans sur plus de 136 000 sujets de 35 à 70 ans issus de 21 pays, a mis en évidence une réduction significative du risque d’accident cardiovasculaire (- 22 %), d’accident vasculaire cérébral (- 34 %), de mortalité cardiovasculaire (- 33 %) et totale (- 17 %) en cas de consommation de produits laitiers (au moins 2 portions/jour versus aucune). Si le fromage n’a pas d’effets négatifs, le lait et le yaourt diminuent les risques. « Ces données sont en accord avec ce que l’on savait de précédents essais mais contraires aux recommandations nutritionnelles », commente le Pr René Rizzoli, service des maladies osseuses du CHU de Genève. De même, la supplémentation en produits laitiers d’un régime méditerranéen abaisserait la pression artérielle matinale systolique et diastolique ainsi que le taux de triglycérides, tout en augmentant le HDL cholestérol (2).
Un impact confirmé sur l’os et le risque fracturaire
Selon une étude de 2018 (3), menée sur deux cohortes américaines de 80 000 femmes et 43 000 hommes suivies pendant respectivement 21 ans et 17,5 ans, la consommation de produits laitiers serait associée à une réduction du risque de fracture du col du fémur (- 6 % par portion). Une méta-analyse de 10 études internationales (4), incluant 360 000 sujets suivis de 3 à 22 ans, confirme une baisse du risque de fracture de 25 % avec une consommation élevée (vs faible) de yaourt, et de 32 % avec le fromage. Ceci s’explique notamment par l’effet des produits laitiers sur la densité minérale osseuse (DMO). « Il y a 41 % de risque en moins d’avoir une faible DMO avec un régime à base de produits laitiers », explique le Pr Rizzoli, alors que ce risque est augmenté de 22 % avec un régime occidental carné et réduit de 18 % seulement avec un régime sain (5). Indépendamment de la DMO, les altérations de la microarchitecture de l’os, évaluées par scanner à haute résolution, constitueraient aussi un puissant marqueur du risque prédictif de fracture (6). D’après une étude suisse (7), évaluant la microstructure osseuse du poignet et de la cheville chez 746 femmes de plus de 65 ans, les protéines animales, et plus particulièrement celles d’origine laitière, seraient significativement associées à la résistance osseuse, contrairement aux protéines végétales consommées en quantité comparable. « Les protéines laitières montrent le plus de bénéfice, avec surtout un effet dose », commente le Dr Lecerf. Les conséquences sur l’os étant différentes selon la source alimentaire des protéines, cette observation illustre bien l’effet matrice.
D’autre part, les produits laitiers permettent également d’augmenter la masse musculaire, avec un gain de 130 g chez les consommateurs. « Grâce à la caséine et son action lente, les produits laitiers permettent d’avoir un effet prolongé et actif sur la synthèse musculaire », note le Dr Lecerf.
A contrario, leur absence du régime alimentaire aurait des effets négatifs, comme chez les végétaliens. « Par rapport aux omnivores, les végétariens auraient tendance à avoir plus de fractures mais ce n’est pas significatif (+ 25 %). En revanche, les végétaliens en ont significativement plus (+ 44 %) », révèle le Pr Rizzoli en s’appuyant une récente méta-analyse (8). « Chez les végétaliens, le risque de fracture est augmenté de 30 % environ dès lors que l’apport en calcium est inférieur à 525 mg », complète le Dr Lecerf.
D’après une conférence de presse organisée par le Cerin (Centre de recherche et d’information nutritionnelle sur les produits laitiers) à Paris lors du congrès mondial de l’ostéoporose.
1) M Dehghan et al., Lancet, 2018.
2) Wade et al, AJCN, 2018.
3) Feskanich D et al, Osteoporos Int, 2018.
4) Bian S et al., BMC Public Health, 2018.
5) Fabiani et al., Adv Nutr, 2019.
6) EJ Samelson et al., Lancet Diabetes Endocrinol., 2019.
7) C Durosier-Izart et al., Am J Clin Nutr, 2017.
8) Iguacel et al, Nutr Rev 2019.
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