Les mots du patient
- Le médecin a décidé de changer le médicament contre la douleur de mon mari pour le rendre plus efficace.
- Mon oncle a un cancer des os et le médecin lui a prescrit directement de la morphine !
- Ces petits timbres contre la douleur seront-ils aussi efficaces sur les gélules de morphine ?
- L’infirmière hésite à faire la toilette de ma femme : elle souffre beaucoup lorsqu’elle bouge et la gélule de morphine n’agit qu’après les soins…
- Est-il vrai que la morphine va me donner de la constipation ?
Quelques définitions
La prévalence des douleurs chez le patient cancéreux croît de 30 à 40 % lors du diagnostic à 70 à 80 % chez le patient en phase avancée de la maladie. Ces douleurs nociceptives et/ou neuropathiques, peuvent être :
- Causées par la tumeur (infiltration progressive des tissus environnants, métastases, envahissement des viscères, atteinte osseuse, compressions ou lésions nerveuses péritumorales, neurolyse, ischémie locale, hypertension intracrânienne, etc.) ;
- Associées au cancer (distension des tissus mous, œdèmes, spasmes musculaires, escarres, constipation) ;
- Iatrogènes (douleurs post-chirurgicales et cicatricielles, inflammation post-chimiothérapique ou postradique type mucite, etc.) ;
- Liées à une affection concomitante ;
- Sans lien avec la maladie ou ses traitements.
Si le relargage de prostaglandines, de cytokines, de facteurs de croissance par les cellules néoplasiques, les infiltrats inflammatoires et la protéolyse locale participent au développement de la douleur, cette dernière est souvent amplifiée par une hypersensibilisation périphérique et centrale rendant douloureux des stimuli en principe anodins.
Douleur basale et douleurs paroxystiques
La douleur cancéreuse associe presque toujours une composante continue à une composante transitoire, épisodique, aiguë, qui s’y superpose par séquences.
Douleur basale. La douleur basale ou chronique, continue et relativement uniforme, constitue un symptôme presque cardinal en cancérologie. Une douleur est considérée comme chronique lorsqu’elle persiste malgré le traitement antitumoral (si elle est dépendante de la tumeur) ou depuis plus de trois à six mois (si elle est indépendante du processus tumoral).
Accès douloureux paroxystiques (ADP).
L’accès douloureux paroxystique se définit comme toute augmentation subite et transitoire d’une douleur basale d’intensité légère à modérée (sous couvert ou non d’un contrôle thérapeutique continu). Lorsque la douleur basale est continûment sévère, il est impossible de parler d’accès paroxystique : il faut alors considérer que la douleur est globalement incontrôlée. La prévalence des ADP est comprise dans une fourchette allant de 24 % à 95 % des patients, avec une valeur moyenne de 65 %.
Ces accès douloureux peuvent survenir d’une façon spontanée (accès idiopathiques), peuvent être induits par des mouvements, par une toux, par la station debout, par un simple toucher ou encore être le fait d’une distension organique (intestinale, vésicale) : 20 % à 60 % d’entre eux sont spontanés, alors que 50 % à 60 % ont une origine précise et identifiable. Dans 15 % à 30 % des cas, ils surviennent en raison de la décroissance des taux d’opiacés administrés en traitement de fond à une posologie insuffisante.
Très généralement, les douleurs paroxystiques ont la même localisation que la douleur basale. Elles peuvent toutefois avoir une origine physiologique différente (nociceptive et/ou neuropathique). La fréquence et la durée des épisodes varient largement : en moyenne, on compte entre 4 et 7 accès paroxystiques chaque jour, durant entre 15 et 30 minutes. Ces pics algiques peuvent être à l’origine d’un handicap lié à la douleur et d’une détresse psychologique importante.
Principes du traitement médicamenteux des douleurs cancéreuses
Le traitement de la douleur cancéreuse doit être aussi précoce que possible : c’est son vécu subjectif par le patient et non le degré d’évolution de l’affection maligne qui doit imposer le recours à un antalgique. Renoncer à traiter la douleur, comme la traiter insuffisamment, est à l’origine d’une altération considérable de la qualité de vie du patient cancéreux. Face à une douleur chronique, le traitement antalgique contribue donc de façon déterminante à maintenir une qualité de vie acceptable. Une fois instauré, il doit anticiper sur la survenue de la douleur :
- Le traitement de fond, continu, est renouvelé à des moments précis de façon à anticiper la douleur qui, en son absence, resurgit de façon inéluctable ; une évaluation quantitative de la douleur suivie d’une prescription personnalisée constituent l’essentiel de la stratégie de prévention de la douleur cancéreuse.
- Ce principe n’exclut pas l’administration de doses supplémentaires d’antalgiques pour traiter les ADP.
Ce traitement antalgique global, permettant de soulager l’ensemble de la symptomatologie algique du patient cancéreux, devra par nécessité être poursuivi indéfiniment, même si les circonstances autorisent de façon transitoire son allégement, voire sa suspension.
Opiacés : dans les douleurs chroniques comme dans les accès paroxystiques
Le choix d’une thérapeutique analgésique doit être adapté à l’intensité de la douleur. Les opiacés constituent la réponse majeure aux douleurs par excès de nociception, en aigu comme en chronique, mais également aux douleurs neuropathiques qui s’avèrent généralement opiosensibles, même si l’index thérapeutique s’avère alors moins intéressant. Le recours à un opiacé doit donc être privilégié dans le traitement des douleurs sévères mais aussi modérées. Des douleurs intenses en justifient la prescription en première intention ou, pour le moins, de ne pas prescrire plus de 24 à 48 heures un antalgique moins puissant et insuffisamment efficace.
Douleurs chroniques.
Les recommandations médicales soulignent l’innocuité d’un traitement morphinique adapté, même poursuivi sur des périodes prolongées après une instauration précoce dans l’évolution de la maladie.
- L’existence d’une tolérance aux opiacés ne pose guère de problème au prescripteur : l’accroissement de la posologie journalière parfois nécessaire traduit moins une diminution de l’intensité ou de la durée de l’activité antalgique qu’une aggravation des sensations algiques liée à l’évolution de la pathologie. En revanche, on observe fréquemment une tolérance vis-à-vis des effets indésirables (dépression respiratoire, somnolence, nausées ; la constipation fait exception et ne donne lieu qu’à une faible tolérance), qui deviennent moins prégnants avec la poursuite du traitement.
- La dépendance physique, observée avant tout au décours d’un traitement prolongé à fortes doses, impose une diminution prudente et progressive des doses, sur une quinzaine de jours, pour prévenir un syndrome de sevrage (bâillements, larmoiement, mydriase, tremblements, anorexie, diarrhées, nausées, myoclonies, crampes, etc.) survenant inéluctablement si la prescription est suspendue brutalement mais ne traduisant pas l’existence d’une « toxicomanie ». Dans la pratique, chaque morphinique donne lieu à des modalités d’arrêt adaptées à sa pharmacologie, à sa cinétique, à sa posologie et à son mode d’administration.
- La survenue d’une dépendance psychique (addiction ou toxicomanie) n’est pas observée, en pratique (fréquence estimée à moins de 1 pour 3 000), chez les patients utilisant des opiacés dans le cadre d’un traitement antalgique et le passage à tout autre type de traitement peut se faire sans autre difficulté qu’un arrêt progressif.
Accès douloureux paroxystiques (ADP).
La survenue des accès douloureux paroxystiques pose un problème thérapeutique en matière d’adaptation du traitement opiacé :
- Si la posologie du traitement opiacé de base est suffisante pour traiter les accès, elle est trop importante en phase intercritique et expose alors inutilement le patient aux effets indésirables des opiacés ;
- Si cette posologie est seulement suffisante pour prévenir la douleur basale, elle est par définition insuffisante pour traiter les ADP et la qualité de vie du patient est altérée.
Les ADP ne peuvent donner lieu à une antalgie préventive, puisque leur survenue reste imprévisible. Ils sont donc traités à la demande et il est évident que le médicament a d’autant plus d’intérêt qu’il agit rapidement. Les ADP sont traitées par administration d’un opiacé à libération immédiate par voie orale (morphine : Actiskenan, Oramorph, Sevredol ; oxycodone : Oxynorm) ou par voie sous-cutanée, voire intraveineuse (bolus autoadministrés par le patient = Patient Controlled Analgesia), péridurale ou intrathécale (morphine sans conservateur). Le fentanyl par voie transmuqueuse (Actiq) constitue une alternative.
Morphine et analogues : quels rationnels de choix ?
Tous les opiacés ne peuvent être administrés facilement au patient cancéreux. Ainsi, nalbuphine (Nubain), buprénorphine (Temgésic) et pentazocine (Fortal), ayant des propriétés antagonistes µ ou κ, ne peuvent être associées à un agoniste µ complet (type morphine) et leur utilisation est limitée par un effet plafond (3 à 5 mg/j pour la buprénorphine). Ces opiacés sont donc privilégiés dans le traitement des douleurs postopératoires ou traumatiques - même si certaines spécialités bénéficient d’une AMM dans le traitement des douleurs néoplasiques.
Morphine.
La morphine constitue la référence dans le traitement antalgique de palier 3. Sa biodisponibilité orale est limitée par un effet de premier passage hépatique et elle subit un métabolisme important : certains métabolites sont antalgiques (6-glucuronide par exemple) et plusieurs participent aux effets indésirables décrits lors du traitement. La durée d’action de la morphine à libération immédiate (Actiskenan, Oramorph, Sevredol) est de 4 heures, ce qui justifie l’intérêt des formes LP actives sur 24 heures (Kapanol) ou 12 heures (Moscontin, Skenan).
- La morphine orale à libération immédiate agit en 30 minutes environ. Elle devrait être prescrite lors de l’instauration du traitement (posologie moyenne adulte de 0,5 à 1 mg/kg/j soit 5 à 10 mg/4 heures selon l’existence ou non d’un traitement antalgique opiacé antérieur). Dans la pratique, il reste fréquent, en France, que le traitement soit directement initié avec une forme LP (30 mg/j si forme LP sur 12 heures ; 50 mg/j si forme LP sur 24 heures). La morphine à libération immédiate peut également être utilisée pour l’administration d’interdoses (doses supplémentaires) en cas de paroxysmes algiques ou de soins douloureux chez des patients bénéficiant d’un traitement par un antalgique à libération prolongée.
- Les formes à libération prolongée (LP), agissant en 2 à 3 heures, sont administrées avec une posologie croissante, en fonction des interdoses de morphine à libération immédiate nécessaires pour soulager le patient sur la période couverte par la forme LP.
Oxycodone.
Cet opiacé bénéficie d’une biodisponibilité élevée (60 à 87 %). Une galénique autorisant une libération biphasique explique son action relativement rapide pour la forme LP (OxyContin) - puisque comprise entre 45 minutes et une heure - et persistant 12 heures. Il existe également une forme à libération immédiate (Oxynorm). Les métabolites de l’oxycodone ne sont pas actifs. Il s’agit d’un opiacé de première intention dans le traitement des douleurs chroniques cancéreuses intenses ou rebelles aux opiacés de palier 2. Sa prescription est initiée par une dose de 20 à 30 mg toutes les 12 heures avec des interdoses de 10 mg de morphine orale à libération normale, toutes les 1 à 4 heures si besoin.
Hydromorphone.
L’hydromorphone a une biodisponibilité supérieure à celle de la morphine (35 à 60 %) et se révèle cinq à dix fois plus puissante. Elle est commercialisée sous une forme LP (Sophidone), active en 2 heures et sur une période de 12 heures, indiquée en cas d’intolérance ou de résistance à la morphine chez un patient présentant des douleurs intenses d’origine cancéreuse : il s’agit donc d’un médicament antalgique de seconde ligne, susceptible d’être prescrit à raison de 4 mg/12 heures avec les interdoses de morphine habituelles. Toutefois, rien ne s’oppose au plan pharmacologique à utiliser en première intention cette molécule puissante et souvent mieux tolérée que la morphine.
Fentanyl.
La puissance d’activité antalgique du fentanyl est 75 à 100 fois supérieure à celle de la morphine administrée par voie parentérale, en raison de sa forte lipophilie lui permettant de franchir plus aisément la barrière hématoencéphalique. L’administration de fentanyl peut entraîner des effets indésirables qualitativement superposables à ceux décrits après administration d’autres opiacés et notamment de morphine. La puissance de cette molécule serait à l’origine d’accidents s’il était utilisé par voie orale ; de plus, sa demi-vie est très réduite et il subit un effet de premier passage important et variable rendant difficile l’adaptation des doses administrées par voie orale. Le fentanyl est utilisé par voie intraveineuse par les anesthésistes, mais des adaptations galéniques permettent de mettre à profit sa puissance dans le traitement des douleurs chez le patient cancéreux.
Voie transcutanée. Le patch transdermique (Durogésic et génériques ; Matrifen bénéficiant d’une technologie matricielle de nouvelle génération) maintient des taux sériques suffisants pendant 72 heures, avec une biodisponibilité d’environ 90 %. La forme transdermique, qui limite de façon significative l’incidence de la constipation, se révèle spécifiquement intéressante chez les patients pour lesquels la voie orale est impossible et l’abord parentéral délicat. Elle peut être utilisée en première intention en sachant que l’effet antalgique peut mettre un à deux jours à apparaître et que l’état d’équilibre est long à obtenir, d’où une surveillance attentive et la précaution de ne pas augmenter trop précocement les doses.
Voie transmuqueuse. L’applicateur buccal (Actiq) permet d’obtenir une action antalgique puissante en 3 à 15 minutes (donc plus rapide qu’avec la morphine à libération immédiate), avec une efficacité maintenue pendant environ 2 heures. Contrairement au patch, l’applicateur est réservé au traitement des accès douloureux paroxystiques mais sporadiques (< 4/j) chez des patients bénéficiant d’un traitement de fond par opiacés de palier 3.
Stratégie de choix du traitement opiacé
La recherche de la dose antalgique basale minimale efficace par augmentation progressive de la posologie s’appelle la « titration » : une fois le traitement de fond titré, il est bien sûr revu si besoin à la hausse comme à la baisse. Ce traitement basal est complété par l’administration d’interdoses d’action aussi rapide et brève que possible destinées à prévenir ou traiter les ADP (liés, par exemple, aux mouvements, aux soins, ou au génie évolutif de la maladie).
Doses prescrites.
Contrairement à ce qui est pratiqué dans le traitement des douleurs chroniques non cancéreuses, les opiacés sont prescrits en cas d’affection maligne de façon continue, l’antalgie devant couvrir le nycthémère. Les opiacés agonistes purs ne donnent pas lieu à effet plafond et il n’y a pas de dose maximale. Seule l’intensité de la douleur guide la prescription (posologie, passage d’un palier OMS à un autre).
Choix de la galénique.
Les formes à libération prolongée, patchs compris, permettent de réaliser un traitement de fond, couvrant le nycthémère. Les accès douloureux paroxystiques sont traités autant que de besoin par des formes à libération immédiate (LI) lesquelles peuvent également être mises à profit pour traiter les patients chez lesquels une accumulation de l’antalgique est redoutée (insuffisants rénaux notamment).
Rotation opiacée.
La rotation des opiacés optimise l’index thérapeutique global de la pharmacothérapie antalgique : elle limite l’importance de l’accoutumance, pallie à l’intolérance à certaines molécules ainsi probablement qu’à l’accumulation de divers métabolites. Son rationnel, mal connu à l’échelle moléculaire, doit être recherché dans l’activité intrinsèque de chaque opiacé (comme de ses métabolites) sur les divers types et sous-types d’opiorécepteurs, ainsi que dans la variabilité interindividuelle et diachronique de leur externalisation ou de leur expression. La rotation des opiacés doit respecter les règles fondamentales d’équianalgésie (sujettes cependant à une importante variabilité interpatients) et s’adapter à la présentation galénique de chaque molécule.
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