En France, la question de la légalisation du cannabis a défrayé la chronique lors des débats parlementaires sur la mise en place d'une amende forfaitaire pour les usagers et de l'arrivée sur le marché du cannabis CBD. Pas étonnant donc que l'application au Canada, à partir du 17 octobre 2018, de lois autorisant la production, la distribution, la détention et la consommation de cannabis à usage récréatif soient scrutées avec attention.
Ce processus est « exemplaire, observe Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, spécialiste du droit de la drogue (Université Paul Valéry - Montpellier III). Il s'agit d'une approche très globale, qui consiste à penser une société avec ces drogues ». Le Canada fait preuve « d'un vrai courage pragmatique et s'est engagé dans la réduction des risques depuis plusieurs décennies », ajoute le Dr William Lowenstein, président de SOS Addiction.
L'idée maîtresse des 2 nouveaux textes de lois ? Autoriser et encadrer la possession, la vente et l'usage de cannabis, sans possibilité d'en faire la réclame, et reprendre la main sur les réseaux de distribution de cannabis à usage récréatif. Le Canada a une longue expérience en la matière, puisque l'usage médical du cannabis y est légal depuis 2001, et que l'on estime qu'il y était prescrit chez 150 000 Canadiens en 2015.
Légaliser pour protéger
Comment mesurera-t-on le succès de cette démarche ? « Puisque l'idée sous-jacente est de légaliser pour mieux protéger, il faudra voir si le dispositif mis en place protège mieux que la prohibition et l'interdiction », résume le Dr Lowenstein. Il est probable que la légalisation commence par provoquer une augmentation de l'usage de ce produit. Cela ne signera toutefois pas l'échec de cette démarche, selon le Dr Lowenstein qui préfère un autre marqueur : la quantité d'effets indésirables liés à la consommation de cannabis (hospitalisations, accidents et overdose et dépendance). « Au moins 10 ans de recul seront nécessaires pour les mesurer », estime toutefois le médecin.
L'évaluation sera sans doute compliquée par la mosaïque des modalités d'application de la loi. Le Canada étant un État fédéral, les modalités d'application comme la possibilité de consommer dans un lieu public ou les lieux de ventes autorisés varient d'une province à l'autre, d'une ville à l'autre « et même d'un quartier à l'autre », s'amuse Yann Bisiou. « Il faudra 2 à 5 ans pour que le système se stabilise », prédit Yann Bisiou.
À partir de quel âge est-il judicieux d'autoriser la consommation et l'achat de cannabis ? La réponse à cette question est très attendue. Car elle est loin de faire consensus, comme le rappelle le Dr Lowenstein : « d'un point de vue neurodéveloppemental, le cerveau n'étant mature qu'à 25 ans, il serait médicalement censé de fixer la limite de la consommation à cet âge-là, explique-t-il. Mais si l'on adopte une approche pragmatique, on doit prendre en compte le fait que les jeunes de 18 ans consomment déjà du cannabis. On ne peut pas laisser les réseaux mafieux être leur seule source d'approvisionnement si l'on veut mettre en place une stratégie de réduction des risques. » Au Canada, cet âge est désormais fixé à 18 ans par la loi fédérale, mais tous les territoires et provinces l'ont relevé à 19 ans, à l'exception du Québec et de l'Alberta. Le nouveau gouvernement élu du Québec a promis de porter cet âge à 21 ans. À noter que si la loi canadienne punit sévèrement la vente du cannabis aux mineurs, avec une peine maximale de 14 ans de prison, aucune sanction n'est prévue pour les mineurs consommateurs eux-mêmes.
La question du cannabis au volant n'est pas non plus tranchée. « On manque de données sur le seuil de positivité, explique le Dr Lowenstein. Les tests de dépistage salivaire existent, mais on ne sait pas à partir de quelle quantité de THC il faut considérer qu'il existe un risque pour la conduite. On sait pourtant que le risque d'accident de la route est multiplié par 2 dans les heures qui suivent la prise de cannabis et par 15 si on associe le cannabis à l’alcool », affirme-t-il.
La possibilité d'un lobby
Les Canadiens revendiquent une approche « business friendly », moins stricte que ce qu'a pu tenter l'Uruguay qui a verrouillé les réseaux de distribution, mais plus soucieuse de santé publique que les états américains. L'apparition d'une industrie du cannabis fait cependant redouter l'apparition d'un lobby au Dr Lowenstein. « On est bien placé en France, avec le lobby du vin, pour voir qu'une simple mesure comme un logo sur une bouteille peut être retardée voire menacée si des intérêts économiques sont en jeu », rappelle-t-il.
« L'alcool et le tabac sont autorisés et très réglementés en France, mais entraînent toujours 150 000 morts à eux deux par an. Si le cannabis génère des dizaines de milliers de nouveaux emplois et fait l'objet d'une forte capitalisation boursière, cela pèsera sur l'évaluation des politiques publiques canadiennes », et l'addictologue de conclure : « Légaliser ne suffit pas s'il n'y a pas un programme sanitaire fortement associé ».
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