La révolution sera internationale ou ne sera pas. C’est le message délivré par le Pr Jean-Paul Vernant, co-initiateur de l’appel des 110 cancérologues en mars 2016 sur les prix excessifs pratiqués par les firmes pour leurs anticancéreux. « L’industrie pharmaceutique est très puissante, je crois que c’est 1 200 milliards de dollars tous les ans, c’est trois fois le prix de l’industrie de l’armement ! Sa capacité de lobbying est gigantesque, c’est pour cela qu’il était important d’aborder le prix des médicaments innovants au G7 et qu’il faut maintenant créer une union internationale entre les gouvernements. »
Professeur d’hématologie à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, administrateur de la Ligue contre le cancer et chargé de l’élaboration du 3e plan cancer (2014-2019), Jean-Paul Vernant rappelle que le premier cri d’alarme est venu des États-Unis, « où le problème est dramatique parce qu’une part importante de la population n’a pas d’assurance santé, parce que les gens ne sont pas assez riches, ou pas assez pauvres pour bénéficier des programmes d’aides de l’État ». Des spécialistes ont en effet livré leur désarroi dans une revue scientifique face aux décès trop nombreux dus aux prix inaccessibles de certains traitements : « 30 % des patients américains atteints de leucémie myéloïde chronique meurent alors qu’ils pourraient être soignés et vivre 10, 20, 30 ans. » Un cri d’alarme repris régulièrement depuis dans les revues médicales, la presse grand public, mais aussi par le très scientifique congrès de l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) dont l’intervention médico-économique en séance plénière a marqué les esprits. Onze États américains ont d’ailleurs prévenu les industriels que tout médicament de plus de 10 000 $ dollars nécessiterait des justifications sur leurs dépenses de R & D. « En France, on ne manque de rien pour l’instant, mais en Angleterre par exemple, un patient qui a une myélodysplasie 5Q- en meurt, parce que le traitement - efficace ! - coûte 100 000 livres par an et n’est pas pris en charge. C’est la même chose avec le brentuximab qui nous permet de rattraper des malades dans le Hodgkin qui en sont à leur 2e ou la 3e poussée, de les amener à l’allogreffe et de les guérir. Pas en Angleterre. C’est trop cher. »
Temps scientifique et urgence des patients
En parallèle de la problématique du prix se pose celle de l’efficacité de ces médicaments qui, pour la plupart, bénéficient d’une mise à disposition accélérée sur le marché. « Le risque repose sur le fait que ces médicaments n’ont pas été au bout de la démonstration de leur efficacité, l’AMM est donnée sur des preuves relativement légères, alors que le produit est encore en essai clinique de phase I ou II », explique l’économiste de la santé Claude Le Pen. Un débat apparu avec le développement de traitements du VIH, dont les patients voulaient bénéficier sans attendre la fin des essais cliniques. « Le temps scientifique n’est pas celui de l’urgence des patients, d’où cette tendance générale à accélérer la mise à disposition de traitements en cours de développement », remarque Claude Le Pen.
Une tendance plébiscitée par Jean-Paul Vernant. « Quand vous avez un malade qui a un cancer du pancréas, dont on sait que l’espérance de vie va être de quelques mois avec la prise de substances terribles qui ont des effets adverses dramatiques, si jamais il y a un espoir de traitement, il faut qu’il en bénéficie au plus vite. » Le problème ne réside pas dans l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) du système français ou dans l’attribution d’une AMM précoce, mais dans la non-révision de ces autorisations après obtention de nouveaux résultats dans les études cliniques et en vie réelle. « Le pertuzumab a obtenu une AMM européenne dans les cancers du sein HER2 + en 2013, en première ligne, en situation néoadjuvante, après une phase II ouverte, sur une réponse histologique. Mais un essai randomisé récent montre que la survie sans rechute à 5 ans est la même avec ou sans adjonction de pertuzumab au régime de base, il n’apporte rien dans la vraie vie et le malade subit les ennuis liés à cette médication supplémentaire, il faut donc revenir en arrière. Mais l’amélioration du service médical rendu n’est jamais actualisée. C’est le même topo dans le cancer du pancréas où on a ajouté l’erlotinib à la gemcitabine et on constate en vie réelle que cela n’a aucun intérêt », s’agace Jean-Paul Vernant.
Études en vie réelle
Tout comme Jean-Paul Vernant, Sandrine Boucher, directrice de la stratégie médicale et de la performance d’Unicancer, déplore que des outils comme le décret sur l’inscription et la radiation de la liste en sus ne soient pas plus appliqués. Militant pour que la vie du médicament prenne en compte les études en vie réelle, Unicancer a lancé ESMÉ, un programme d’aide à la décision dans les cancers du sein métastatique, de l’ovaire et du poumon s’appuyant sur une base de données de patients en traitement permettant de comparer les stratégies thérapeutiques. « Le but est de pouvoir ajuster la vie du médicament en termes d’évolution des AMM et des prix », précise Sandrine Boucher. Car parmi les soucis rencontrés par les spécialistes, on trouve ces AMM précoces non réactualisées, des traitements qui ne tiennent pas leurs promesses et des recommandations peu harmonisées entre les sociétés savantes qui les émettent, les laissant souvent démunis face à des patients qui placent tous leurs espoirs en eux. Selon un article du « British Medical Journal » le mois dernier, « sur 48 produits innovants dans 68 indications, il n’y a aucune avancée significative dans 44 de ces indications, et pour les 24 restantes, l’amélioration consiste en un gain de 1 à 6 mois de vie supplémentaire », décrit Jean-Paul Vernant. Sa conclusion : « Beaucoup de ces innovations thérapeutiques ne servent à rien. »
D’après un colloque organisé par le magazine Pharmaceutiques.
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