Pour le psychiatre américain Charles Nemeroff et de nombreux auteurs qui lui ont emboîté le pas, la dépression doit être envisagée comme une réponse au stress inadaptée. Or, bien que l’ocytocine soit considérée comme une hormone anti-stress, assez peu d’études se sont intéressées à son niveau plasmatique dans la dépression. Quelques recherches, dont une réalisée en 2007 sous la conduite du Pr Gabrielle Scantamburlo, responsable du service de psychiatrie, de psychologie médicale et de l’unité de psychoneuroendocrinologie de l’université de Liège, en Belgique, ont montré des taux d’ocytocine plus bas chez les patients déprimés et anxieux qu’au sein de groupes contrôles.
Quel pourrait être l’impact thérapeutique de l’administration intranasale d’ocytocine chez les patients dépressifs ? L’équipe de Gabrielle Scantamburlo s’intéresse à cette question depuis une dizaine d’années. Deux expériences d’instillation d’ocytocine intranasale ont été menées à Liège, en 2010 et 2015, chez des patients souffrant de dépressions majeures résistantes aux antidépresseurs (1). Ces études ont livré des résultats très encourageants, l’état des patients s’étant sensiblement amélioré. Toutefois, non randomisées et portant sur un nombre réduit de sujets (7 puis 14), elles nécessitent confirmation.
Traumatismes précoces
C’est pourquoi Gabrielle Scantamburlo devrait entreprendre prochainement un essai randomisé, en double aveugle, d’administration intranasale d’ocytocine à plus grande échelle. Outre la confirmation des résultats obtenus sur de petits échantillons, ces travaux viseront à mieux cerner le profil des patients susceptibles de bien répondre à l’ocytocine. Un autre objectif sera d’évaluer l’impact des traumas précoces sur les mécanismes cérébraux en lien avec l’ocytocine, car on sait que des expériences de stress prénatal ou postnatal entraînent une altération des systèmes régulateurs de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA).
« L’ocytocine jouant un rôle dans la régulation de l’axe du stress, il était légitime de se demander si les individus ayant été victimes de traumas précoces pouvaient présenter une déficience au niveau de ses circuits », explique le professeur Scantamburlo.
La chercheuse a réalisé récemment une étude chez des individus, hommes et femmes, souffrant de dépression, les uns ayant été en proie à un trauma précoce, les autres, non. L’étude a confirmé que les patients dépressifs possédaient des taux d’ocytocine significativement réduits par rapport à ceux d’une population témoin. Il est également apparu que le phénomène était d’autant plus marqué que ces personnes avaient subi un trauma précoce, en particulier une négligence de nature émotionnelle, c’est-à-dire relative aux besoins affectifs de base – se sentir aimé, être encouragé...
Amygdale et hippocampe
Compte tenu de ce constat, le Pr Scantamburlo voudrait se pencher sur les modifications épigénétiques touchant le récepteur de l’ocytocine. Elle rappelle que l’amygdale, plaque tournante des émotions, induit l’activation de l’axe du stress à la suite de la perception d’une menace dans l’environnement et que l’amygdale est régulée par les taux de concentration d’ocytocine et de vasopressine.
L’ocytocine est appréhendée comme une hormone anti-stress non seulement parce qu’elle contribue à freiner l’expression de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien en contrôlant la sécrétion d’ACTH, mais également parce qu’elle est capable de freiner l’activité de l’amygdale. Chez l’animal, elle stimule en outre la neurogenèse au niveau de l’hippocampe, structure dont on connaît l’implication tant dans l’apprentissage et la mémorisation que dans la régulation émotionnelle, et qui est le théâtre d’une mort neuronale à la suite d’un stress chronique. L’ocytocine intervient aussi dans la différenciation des lymphocytes T, lesquels semblent exercer un effet stimulant sur la neurogenèse. Voilà pourquoi, dans une perspective intégrative, l’administration intranasale d’ocytocine pourrait exercer un effet thérapeutique dans la dépression.
(1) G. Scantamburlo et al., The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neurosciences, 23(2) : E5, 2011.
(2) G. Scantamburlo et al., European Psychiatry, 30(1):65-8, 2015.
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