Les mots du client
- « J’ai vu à la télévision qu’il n’y avait plus d’antibiotiques vraiment efficaces.
- J’ai très mal à la gorge et le médecin ne veut absolument pas me prescrire un antibiotique !
- Pourquoi doit-on rationner les antibiotiques ?
- Est-il vrai que certains antibiotiques ne se trouvent que dans les hôpitaux ?
- La campagne " Les antibiotiques c’est pas automatique " a-t-elle eu finalement un réel succès ? »
Les enjeux de la lutte
Réduire la consommation des antibiotiques représente l’un des défis importants en termes de santé publique, car les abus ou l’inadéquation des traitements sont à l’origine de phénomènes de résistance chez les bactéries. La France, précisément, compte au nombre des pays ayant le taux de résistance bactérienne parmi les plus élevés au monde, une situation qu’elle doit à un mésusage des antibiotiques trop longtemps négligé par les autorités de santé, avant que les mentalités ne changent progressivement, à la faveur notamment d’une campagne médiatique très populaire et aujourd’hui restée célèbre : « Les antibiotiques, c’est pas automatique ».
C’est précisément l’intérêt d’une étude menée par l’INSERM et l’Institut Pasteur, et dirigée par le professeur Didier Guillemot, qui a permis d’analyser environ 450 millions de prescriptions d’antibiotiques saisies entre 2002 et 2007. Cette analyse a pu démontrer que la consommation hivernale d’antibiotiques avait diminué d’environ 27 % - ce chiffre atteignant jusqu’à 30 % pour les enfants âgés de moins de 6 ans -. Plus intéressant encore : la prescription d’antibiotiques chez les patients présentant un simple syndrome grippal d’origine bactérienne a diminué de 40 %. Pour autant, ces bons résultats ne doivent pas laisser méconnaître l’enjeu crucial que représente la résistance bactérienne, notamment au sein des établissements de santé où les infections nosocomiales constituent l’un des problèmes les plus aigus à l’heure actuelle. Effectivement, on estime aujourd’hui qu’environ 7 % des patients hospitalisés contractent une infection au cours de leur hospitalisation dans l’Hexagone, soit 700 000 infections, avec des prévalences particulièrement élevées dans les unités de réanimation (30 %), de chirurgie (9 %) et de médecine générale (7 %). Ces infections occasionnent quelque 4 200 décès chaque année et grèvent très lourdement les budgets hospitaliers (accroissement de la durée du séjour, coût des antibiotiques et des examens de laboratoire). Les infections à bactéries multirésistantes (BMR) sont ainsi à l’origine d’une dépense de près de 900 millions d’euros chaque année.
Cette situation préoccupante appelle non seulement la commercialisation d’antibiotiques plus puissants, mais aussi - et surtout - une meilleure connaissance des processus à l’œuvre dans le développement des multirésistances afin d’essayer d’optimiser l’emploi des ressources thérapeutiques déjà disponibles.
Mieux utiliser les antibiotiques existants
Divers travaux visent à optimiser l’utilisation des molécules antibiotiques disponibles, de façon à améliorer leur index thérapeutique. Sans entrer ici dans des détails techniques, il suffira d’illustrer le dynamisme des recherches fondamentales en antibiologie par quelques exemples illustratifs des divers domaines de l’actualité.
Potentialiser l’action des antibiotiques existants.
C’est la découverte, à la fin des années 1990, d’un gène de Mycobacterium tuberculosis contrôlant le niveau de sensibilité du bacille à plusieurs antibiotiques utilisés pour traiter les patients atteints de tuberculose multirésistante qui est à la base de la découverte par une équipe de chercheurs de l’INSERM, de l’Institut Pasteur (Bruxelles) et du CNRS, coordonnée par Alain Baulard et Benoît Déprez, d’un médicament rendant le bacille de la tuberculose hypersensible au traitement antituberculeux conventionnel.
Les chercheurs ont formé l’hypothèse qu’il serait possible de rendre la mycobactérie plus sensible au traitement antibiotique s’il était possible de développer un médicament capable de lever ce contrôle, l’objectif étant, une fois ces antibiotiques devenus plus efficaces, de les administrer à des doses plus faible afin de limiter leur toxicité et de favoriser l’observance thérapeutique si importante dans ce domaine. La complémentarité de recherches fondamentales en chimie thérapeutique, génie génétique, radiocristallographie a permis de concevoir, synthétiser et démontrer l’efficacité d’une molécule modifiant effectivement la sensibilité du bacille à plusieurs antibiotiques antituberculeux, dont l’éthionamide. Celle-ci potentialise la bioactivation de l’éthionamide en inhibant l’Eth-R, un répresseur de la transcription de la mono-oxygénase bactérienne indispensable à l’activation de l’antituberculeux préalable à son action thérapeutique.
Ainsi, l’administration de cette molécule à des souris atteintes de tuberculose a permis de diminuer par trois la dose d’éthionamide nécessaire à leur guérison, sans que l’antibiotique ne se révèle donc toxique. C’est la première fois qu’une telle stratégie est proposée pour lutter contre une maladie infectieuse. De nombreuses étapes restent toutefois à franchir avant d’autoriser des essais de ce produit chez l’homme.
Déterminer l’action des antibiotiques dans leur environnement.
Des travaux associant également plusieurs institutions (INSERM, Université Paris Descartes, INRA, Institut Pasteur, CNRS) ont montré que des bactéries à Gram positif (streptocoques, entérocoques et staphylocoques) peuvent utiliser les acides gras solubilisés le sang pour constituer leur membrane. Elles échappent de ce fait à l’activité des antibiotiques ayant comme mode d’action l’inhibition des enzymes permettant la synthèse de ces acides gras par les bactéries. Ainsi, des streptocoques dépourvus des gènes codant pour ces enzymes sont incapables de croître dans les milieux de culture conventionnels : pour autant, ces streptocoques mutants ne présentent aucun défaut de croissance dans des milieux supplémentés avec du sérum humain qui leur apporte les acides gras essentiels à la formation de leur membrane et ont une virulence superposable à celle des streptocoques non mutés. Il s’agit là en fait d’un véritable « parasitisme » soulignant la nécessité de toujours tester l’activité des antibiotiques dans des conditions aussi proches que possible de la réalité de l’infection et de son traitement.
Améliorer les connaissances sur les mécanismes de résistance.
La multirésistance des bactéries aux antibiotiques est un phénomène apparu dès les années 1950-1960, à la suite de l'utilisation massive de ces médicaments contre les infections humaines comme animales en médecine vétérinaire. Les gènes de résistance bactériens sont aisément disséminés par échange d'une bactérie à l'autre grâce à un système de "couper/coller" génétique. Toutefois, la dynamique de ces échanges, qui conditionne des multirésistances chez les bactéries, est longtemps demeurée mal expliquée.
De récents travaux montrent que ce sont les antibiotiques eux-mêmes qui induisent la synthèse de l'enzyme bactérienne, appelée intégrase, qui capture et intègre les gènes de résistance au sein de l’intégron où elle les ordonne de façon aléatoire. Or c’est l'ordre de placement des gènes dans l'intégron qui détermine le degré de priorité de leur expression : les premiers gènes sont les plus exprimés et ils confèrent à la bactérie les résistances correspondantes alors que les gènes positionnés en fin d’intégron ne sont pas exprimés mais sont conservés en réserve. Lors d'un nouvel agencement de l’ordre des gènes, déclenché par la prise d'un antibiotique par exemple, ceux-ci sont toutefois susceptibles de venir occuper à leur tour les premières positions dans l’intégron, conférant alors à la bactérie des résistances nouvelles. Les bactéries qui possèdent une bonne combinaison de gènes peuvent ainsi survivre et assurer le maintien d’un potentiel de résistances au fil des générations.
Des antibiotiques récents
L’antibiothérapie peine à progresser dans un environnement que dominent les questions vives liées au développement et à la dissémination de bactéries résistantes, voire multirésistantes. Même si de récents travaux laissent présager de commercialisations intéressantes dans un futur proche, force est de constater que la production de nouveaux antibiotiques est limitée et que les niveaux d’amélioration du service médical rendu pour les molécules récentes restent faibles. Panorama non exhaustif de quelques antibiotiques récemment commercialisés.
Daptomycine.
Isolée de Streptomyces roseosporus dans les années 1980, la daptomycine (Cubicin, poudre pour solution pour perfusion 350 mg et 500 mg) a inauguré une nouvelle classe d’antibactériens : les lipopeptides cycliques. Son mécanisme d’action est original : elle se lie de façon calcium-dépendante à la membrane cytoplasmique des bactéries (sans pénétrer dans la cellule) et accélère l’efflux potassique hors de la cellule avec dépolarisation membranaire. La diminution de la synthèse des protéines potassium-dépendante y faisant suite entraîne la mort de la bactérie. La daptomycine n’est active que sur les germes Gram positif, ce qui explique qu’elle doive être associée à d’autres antibiotiques en cas d’infection mixte polybactérienne. Cet antibiotique bactéricide est indiqué dans le traitement des infections compliquées de la peau et des tissus mous de l’adulte. La posologie recommandée est de 4 mg/kg, administrés une fois chaque jour en perfusion intraveineuse de 30 minutes, pendant 7 à 14 jours ou jusqu’à résolution de l’infection. Les effets indésirables sont essentiellement à type de céphalées, nausées et vomissements, diarrhées, douleurs musculaires, infections mycosiques, anomalies enzymatiques hépatiques. Les études ne permettent pas, a souligné la HAS dans l’avis de Transparence, de situer la place de cet antibiotique dans la prise en charge des infections sévères et/ou dues à des bactéries résistantes face à des molécules régulièrement efficaces (bêtalactamines résistantes aux pénicillinases). Constituant une simple alternative dans la prise en charge des infections compliquées de la peau et des tissus mous, Cubicin n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu par rapport aux thérapeutiques antérieurement commercialisées (ASMR V).
Tigécycline.
La tigécycline (Tygacil, poudre pour solution pour perfusion 50 mg) est une tétracycline dont la structure diffère de celle des tétracyclines antérieurement commercialisées : elle possède un groupe t-butylglycylamide en position C-9 sur le cycle D du squelette de la minocycline dont elle dérive, une modification lui conférant une efficacité sur les germes résistants aux anciennes tétracyclines. L’action antibiotique de la tigécycline repose sur sa liaison à la sous-unité 30S du ribosome bactérien, par deux points d’attache, l’un commun aux tétracyclines, l’autre spécifique à la tigécycline. La tigécycline présente une affinité pour le ribosome bactérien cinq fois supérieure à celle des tétracyclines d’où sa capacité à contourner le mécanisme de protection du ribosome : elle inhibe non seulement les ribosomes de type sauvage, mais aussi les ribosomes tetM-protégés et les autres ribosomes résistants aux tétracyclines. Une fois liée, la tigécycline représente un obstacle à la fixation de l’ARNt sur le site A du ribosome et inhibe ainsi la synthèse des protéines.
La tigécycline bénéficie d’un spectre large intéressant dans le traitement des infections compliquées de la peau, des tissus mous, et dans celui des infections intra-abdominales compliquées. Son action bactériostatique ne constitue pas un handicap dans la majorité des situations rencontrées (un antibiotique bactéricide peut faire éventuellement courir le risque d’exposer l’organisme à un relargage brutal de matériel bactérien à l’origine de réactions systémiques parfois graves). Son activité est démontrée in vitro sur de nombreuses souches bactériennes incluant des bactéries à Gram négatif et à Gram positif, aérobies comme anaérobies ;
- Streptococcus pneumoniae et Haemophilus influenzae sont sensibles à la tigécycline ;
- In vitro, les CMI50 et CMI90 de la tigécycline sont similaires à celles de l’imipénem sur les entérobactéries ;
- Acinetobacter baumannii est inconstamment sensible à la tigécycline ;
- Parmi les bactéries à Gram négatif, certaines espèces sont inconstamment sensibles : Acinetobacter baumanii, Burkholderia cepacia, Morganella morganii, Providencia sp., Proteus sp., Stenotrophomonas maltophilia ;
- Pseudomonas aeruginosa est naturellement résistant ;
La tigécycline n’est pas dégradée par les principaux mécanismes de résistance des bactéries vis-à-vis des tétracyclines. Son activité n’est pas altérée chez les staphylocoques dorés porteurs de gènes de résistance à la méthicilline ou aux glycopeptides et elle reste active vis-à-vis des entérocoques exprimant un ou plusieurs déterminants de résistance à la vancomycine. L’action de la tigécycline n’est que marginalement affectée par la présence de souches productrices de bêtalactamases à spectre élargi ou de bêtalactamases AmpC. L’efficacité de l’antibiotique reste cliniquement significative sur les souches possédant une résistance plasmidique multiple avec production de BLSE et Amp-C.
La tigécycline bénéficie d’une AMM dans le traitement des infections compliquées de la peau et des tissus mous et des infections intra-abdominales compliquées. Elle n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) et constitue une alternative à d’autres types d’antibiotiques.
Méropénème.
Plus anciennement commercialisé mais récemment sorti de la réserve hospitalière, le méropénème (Méronem, poudre pour solution injectable 1 g) est un antibiotique de la famille des bêtalactamines, connues pour inhiber les transpeptidases bactériennes extracytoplasmiques en traversant la paroi de peptidoglycane constituée ou en cours de constitution (bactéries Gram positif), ou en franchissant la paroi par les canaux de type porine de leur membrane externe (bactéries Gram négatif) : cette inhibition active des hydrolases qui lysent la bactérie.
Appartenant donc à une classe proche des céphalosporines, celle des carbapénèmes, le méropénème est proche de l’imipénème commercialisé en association à la cilastatine, un inhibiteur de la déhydropeptidase 1 (DHP-1) rénale qui catabolise cet antibiotique (Tiénam), et proche aussi de l’ertapénème (Invanz) et du doripénème (Doribax, cf. ci-dessous). Étant stable à la DHP-1, méropénème, ertapénème et doripénème ne sont pas associés à la cilastatine.
L’AMM de cet antibiotique a été octroyée au vu de deux études comparatives vs ceftazidime, en monothérapie ou en bithérapie avec la tobramycine, chez des patients atteints de mucoviscidose et au vu de données de suivi de patients traités dans le cadre de programmes compassionnels. Les indications du méropénème procèdent de son activité antibactérienne et de ses caractéristiques cinétiques. Elles sont limitées aux infections sévères, bactériémiques ou non, dues aux germes sensibles dans les infections respiratoires basses ou abdominales, dans les épisodes fébriles chez les patients neutropéniques (adultes et enfants), et dans le traitement des infections bronchopulmonaires dues à Pseudomonas aeruginosa et/ou à Burkholderia cepacia associées à la mucoviscidose (adultes et enfants ; pour ces infections, une bithérapie est nécessaire).
Environ 70 % de la dose de méropénème administrée sont éliminés sous forme inchangée dans l’urine. Le seul métabolite de l’antibiotique, inactif, est produit par hydrolyse de la liaison bêtalactame sous l’action de la déhydropeptidase 1 rénale à l’action de laquelle le médicament résiste bien.
L’évaluation de l’efficacité et de la tolérance du méropénème, au vu des éléments versés dans le dossier d’AMM, ne permet pas de considérer que cet antibiotique soit plus efficace et mieux toléré que les alternatives thérapeutiques, notamment que d’autres lactamines antipyocyaniques utilisées en IV associées à un aminoside. L’ASMR est donc mineure (niveau IV) dans le traitement des infections bronchopulmonaires dues à Pseudomonas aeruginosa et/ou Bulkholderia cepacia associées à la mucoviscidose.
Doripénème.
Tout comme le méropénème, le doripénème (Doribax, poudre pour solution pour perfusion 500 mg) est une lactamine appartenant au groupe des carbapénèmes. Son spectre, très large, englobe les germes Gram + et Gram -, anaérobies compris, ainsi que les souches résistantes d’entérobactéries et Pseudomonas aeruginosa. Il est déjà indiqué dans le traitement des infections pneumonies nosocomiales, infections intra-abdominales compliquées, infections des voies urinaires compliquées (incluant les pyélonéphrites) après vérification de la sensibilité des germes.
Le doripénème s'administre en perfusion intraveineuse à raison de 500 mg toutes les 8 heures. Ses effets indésirables les plus fréquents sont des céphalées, des diarrhées et des nausées. Comme tout antibiotique du groupe des bêtalactamines, le doripénème peut être à l'origine de réactions d'hypersensibilité parfois très graves.
Pour la HAS, Doribax n’a pas démontré d’amélioration du service médical rendu par rapport aux thérapeutiques utilisées dans la prise en charge actuelle des pneumonies nosocomiales ainsi que des infections intra-abdominales et urinaires compliquées (ASMR V). Ce médicament constitue un moyen thérapeutique supplémentaire utile permettant d’élargir les possibilités thérapeutiques face à des bactéries à Gram négatif multirésistantes (pyocyanique notamment).
D’autres antibiotiques devraient être commercialisés prochainement.
Le ceftobiprole (Zevtera) est une céphalosporine indiquée dans le traitement des infections compliquées de la peau et des tissus mous (une indication partagée avec la tigécycline, cf. plus haut). Son spectre est large, mais n’embrasse toutefois pas les Pseudomonas ou les Acinetobacter. Par ailleurs, deux glycopeptides, la télavancine (Vibativ) et la dalbavancine (Exulett) présentent une activité intéressante sur les Staphylococus aureus résistants à la méthicilline (SARM).
Ces avancées ne doivent pas faire illusion. La recherche tarde à produire des antibiotiques réellement innovants et il est plus que jamais indispensable de savoir préserver le capital d’efficacité des médicaments disponibles. Il n’y a que peu de nouvelles molécules en développement, et l’industrie pharmaceutique hésite à engager des recherches coûteuses pour commercialiser de nouvelles molécules, alors même que le prix et le niveau de remboursement accordé par les autorités de santé restent notoirement insuffisants au regard des investissements financiers requis.
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