DEPUIS quelques mois, les centres de consommation de drogues à moindres risques créent la polémique. À l’origine, un rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) préconisant d’expérimenter les « salles de shoot » en France. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, la ministre de la Famille, Nadine Morano, des représentants de la majorité, tel le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, s’y montraient plutôt favorables. Mais pas le chef du gouvernement, François Fillon, qui juge ces centres « ni utiles, ni souhaitables ». Tout comme la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).
Le débat n’est pas clos pour autant. L’association Élus, Santé Publique et Territoires (ESPT), qui regroupe des élus de toutes couleurs politiques (UMP, MoDem, Nouveau Centre, Verts, PS et PCF), vient même de le relancer en demandant, à la fin de la semaine dernière, l’ouverture de tels centres en France, au moins à l’essai. « Il est souhaitable que l’État adopte les dispositifs juridiques permettant aux collectivités qui le souhaitent de créer, au moins à titre expérimental, des centres de consommation », expliquent-ils. Cette position des élus de l’association ESPT est le fruit d’un travail d’un an sur la question, pour lequel ils se sont rendus à Bilbao, en Espagne, et à Genève, en Suisse, où les salles sont déjà une réalité. « L’addiction est une maladie qu’il faut prendre en charge dans ces lieux qui sauvent des vies et améliorent la situation des riverains », estime le Dr Laurent El Ghozi, maire adjoint PS à Nanterre et président de l’ESPT. Dans le même temps, 77 députés et sénateurs de la majorité présentaient une « Charte des élus contre les drogues », estimant, au contraire, que « les débats sur la dépénalisation et la mise en place de centres d’injection nuisent à la lisibilité du message de prévention ». Parmi les signataires, on trouve Jean-François Copé, l’ex ministre de la Santé Xavier Bertrand et le maire du XVe arrondissement et député de Paris, Philippe Goujon. Ce dernier explique que « notre politique repose sur le sevrage et l’interdiction. Or, avec ces salles, on brise le tabou de l’interdit ».
« À aucun moment on ne s’engage en faveur de la dépénalisation, rétorque Patrick Padovani, membre de l’ESPT, médecin et adjoint UMP au sénateur-maire de Marseille. Il s’agit simplement d’un geste de réduction des risques ».
Un devoir de santé publique.
Les pharmaciens, engagés depuis longtemps dans la prévention des risques liés à la toxicomanie, défendent eux aussi la mise en place de salles d’injection dans l’Hexagone. « Je suis évidemment pour l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque en France, lance ainsi Stéphane Robinet, président de Pharm’Addict. D’autres pays le font et certains pérennisent même le système. » Selon lui, ces centres présentent de nombreux intérêts. Notamment pour les usagers de drogue eux-mêmes, qui ont accès à un endroit propre, calme, en présence d’une équipe de professionnels de santé.
Le président de Croix Verte & Ruban Rouge, Jean Lamarche, se dit lui aussi plutôt favorable au projet de salles d’injection. Il tient toutefois à bien préciser sa position. « Sur le plan de la santé publique, ces endroits sont nécessaires, mais il faut les réserver à des cas extrêmes, estime-t-il. Mais surtout, ces centres doivent être animés par des spécialistes de la réduction du risque. » Quant au rôle du pharmacien en la matière, il a ses limites, souligne également Jean Lamarche. « L’officinal fait de la prévention et du soin, certes, mais lorsque le patient est trop lourd, le professionnel doit passer la main. Notamment en orientant le toxicomane vers des structures spécialisées où on lui apprendra les bons gestes de la réduction du risque. » En résumé, conclut le président de Croix Verte & Ruban Rouge, « je ne suis pas opposé au projet de salles d’injection, mais je ne militerai pas pour ».
Casser le cercle vicieux du deal.
Denis Richard, chef de service à la pharmacie centrale du centre hospitalier Henri-Laborit (Poitiers) et auteur de nombreux ouvrages sur les drogues et les toxicomanies, n’a lui aucun doute : les salles d’injections doivent devenir une réalité en France. « Ce type d’endroit permet de rencontrer des toxicomanes qui n’auraient, sans cela, jamais vu de professionnel de santé, et d’engager des soins, voire une substitution », estime-t-il. « Les expériences suisse et allemande semblent confirmer que c’est là la voie à privilégier », affirme-t-il. Et pour pousser plus loin encore cet engagement, le pharmacien chef se dit même favorable à la vente de drogue sous contrôle de l’État. Dans le cadre d’une prescription médicale, bien sûr. « Voilà qui pourrait, d’un même coup, assurer la qualité des produits et mettre un terme au trafic », argumente l’expert.
Avant eux, le président de l’Académie nationale de pharmacie, François Chast, avait lui aussi clairement pris position sur le sujet. Favorable aux salles d’injection, il estime qu’elles ne peuvent être des réussites qu’à la seule condition que la « drogue » utilisée par les toxicomanes change de statut. « Si l’héroïne mise à la disposition des soignants pour être injectée aux toxicomanes avait un statut de médicament de substitution, si ce produit devenait « pharmaceutique », si l’illicite devenait thérapeutique, on entrerait alors dans une démarche de soins », expliquait-il cet été dans une tribune publiée dans « le Figaro ». Il ajoutait : « les salles d’injection deviendraient un moyen pour les toxicomanes de quitter le cercle vicieux du « deal » et du « shoot » pour les replacer dans le double environnement, d’une part des professionnels de santé (…), d’autre part des travailleurs sociaux qui les aident dans leur nécessaire réinsertion, familiale, sociale et professionnelle. »
On le voit, le débat ne fait que commencer. Et les pharmaciens comptent bien y faire entendre leur voix.
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