« NOS PATIENTES viennent avec un questionnement de survie, explique le Pr Serge Uzan. Nous devons les écouter et les rassurer. » L’objectif des médecins ? D’abord centraliser les efforts de la recherche en oncogenèse, ensuite fédérer et soutenir les protocoles de recherche, afin de favoriser une prise en charge homogène sur tout le territoire. Les équipes partent d’un constat simple : « La prise en charge était très disparate. De plus, les IVG étaient nombreuses alors que la poursuite de la grossesse ne modifie pas le pronostic vital de la maman », explique le Pr Rouzier. Ainsi, depuis sa création, le centre de suivi cancers et grossesse établit des recommandations pour les principaux cancers et répond aux questions posées par les praticiens de ville sur les pathologies du sein et du col de l’utérus. Les équipes sollicitent également les avis spécifiques du service de pharmacovigilance de l’hôpital Saint-Vincent de Paul sur l’utilisation des médicaments, afin de proposer des informations ciblées. « Nous menons aussi une veille scientifique sur les molécules utilisées et sur les études publiées », poursuit le Pr Rouzier. Outre la disparité des prises en charge, les médecins ont fait un second constat : le nombre de cancers découverts chez des femmes enceintes augmente à cause des grossesses de plus en plus tardives. Statistiquement, l’âge auquel les femmes attendent leurs enfants a reculé ; mécaniquement, ce type de cancers est donc plus fréquent et concerne plus particulièrement les pathologies du sein et du col.
Diagnostic retardé.
Dans ce contexte, la création d’un centre de suivi spécifique à l’hôpital Tenon prenait tout son sens. « Si la grossesse n’altère pas le pronostic du cancer, elle retarde le diagnostic d’environ six mois. Trop souvent, la prise en charge thérapeutique s’en trouve repoussée », déplore le Pr Rouzier. Les patientes et les médecins doivent donc se montrer très vigilants. « Malheureusement, nous constatons une frilosité de quelques médecins vis-à-vis des examens complémentaires ; certains hésitent, par exemple, à faire une mammographie chez une femme enceinte », relève le Pr Uzan. Résultat, quand le cancer est diagnostiqué, il est souvent déjà avancé… Le message des spécialistes est donc clair : il s’agit de ne pas négliger une boule grossissante pendant la grossesse ; le médecin traitant ou le gynécologue doivent prescrire les examens nécessaires. Aujourd’hui, les équipes du centre cancers et grossesse traitent donc des patientes de la France entière, et leur proposent une prise en charge globale ainsi qu’un soutien psychologique, capital à ce moment de leur vie.
« Ce n’est pas anodin si, en tant que gynécologues, nous avons créé ce centre. Nous sommes habitués à favoriser la vie et la naissance, nous essayons de faire passer ce message à nos patientes : nous avons une maternité à faire tourner ! Nous voulons leur proposer des projets de vie », analyse le Pr Uzan. Diagnostics, examens, traitements, accueil des bébés prématurés, entretien avec les deux psychologues de l’équipe… Concrètement, le centre gère donc l’ensemble des étapes jusqu’à l’accouchement ; il arrive également que décision soit prise de faire naître l’enfant plus tôt pour ne pas retarder le traitement de la mère. Si la plupart des patientes préfèrent opter pour une prise en charge locale, dans un établissement proche de leur domicile, l’approche de l’équipe reste pluridisciplinaire et vise à aider les gynécologues, dans l’ensemble de l’Hexagone, afin qu’ils proposent un accompagnement thérapeutique optimal : « Nous présentons les cas en réunion, avec l’ensemble de l’équipe, puis nous validons le traitement après l’avis pluridisciplinaire. Les échanges avec les confrères en région passent par des téléconférences », indique le Pr Rouzier. Les discussions peuvent s’orienter sur les traitements les plus adaptés au cas de la patiente et au stade d’avancée de sa grossesse. « La pluridisciplinarité repose sur la discussion en réunions multicompétences dans le traitement de ces dossiers, d’une part, et d’autre part, sur la mise à disposition au sein du service des compétences chirurgicales, oncologiques, pédiatriques, endocrinologiques et psychologiques », rappelle le Dr Chabbert-Buffet, endocrinologue et spécialiste médicale de gynécologie. Les cas sont parfois d’ailleurs transversaux avec le centre de suivi pour les femmes à haut risque du cancer du sein et de l’ovaire, créé en 2006, que la jeune femme dirige. Il complète l’expertise de l’hôpital en matière de cancérologie. Ici, le but est d’améliorer le dépistage et la prévention de ces maladies.
Ouvert grâce au soutien de l’AP-HP, de l’Institut national du cancer et de l’Institut Lilly, le centre de suivi est au cœur du service de gynécologie-obstétrique du Pr Uzan, pionnier de cette démarche avec le Pr Florent Soubrier, responsable de l’unité d’oncogénétique à Tenon et à la Pitié-Salpêtrière. Au moment de l’entrée dans le centre, on est agréablement surpris par l’atmosphère douce et apaisante qui se dégage du lieu, autant que par le sourire de chacun, médecins et patients : la structure a tout d’un navire avec ses murs bleus et ses fenêtres en forme de hublots. Les bruits de l’hôpital s’arrêtent aux portes de ce paquebot qui reçoit les femmes de plus de 18 ans présentant un risque élevé de cancer du sein, c’est-à-dire supérieur à 20 % sur l’ensemble de la vie. Ce risque s’avère lié à une mutation dans un gène de prédisposition (BRCA1 ou BRCA2), à des antécédents familiaux importants ou à des lésions mammaires bénignes, mais à haut risque. « Il était indispensable d’organiser un suivi adapté pour ces personnes, qui soit le fruit d’une réflexion commune entre différents spécialistes », pointe le Pr Florent Soubrier.
Un schéma personnalisé de suivi.
D’autant plus que le dépistage et les mesures de prévention doivent être planifiés à long terme pour accompagner ces femmes tout au long de leur vie : une démarche difficile à mener dans le cadre de la médecine conventionnelle, et qui risque d’engendrer un relâchement de la surveillance. Il était donc primordial de proposer aux femmes un suivi personnalisé et complet dans un même lieu. C’est donc chose faite depuis quatre ans, avec une équipe qui compte pas moins d’une dizaine de spécialistes : endocrinologues, chirurgiens-gynécologues et plasticiens, onco-généticiens, radiologues, psychologues, anatomopathologistes… Les experts se réunissent en comité disciplinaire afin d’échanger sur les dossiers et de proposer à chaque femme un plan individuel de suivi, expliqué lors d’une consultation. Il prévoit le rythme et les modalités de la surveillance, ainsi que les alternatives chirurgicales. Le suivi du plan personnalisé peut être effectué à Tenon, qui dispose d’un plateau technique complet, ou à l’extérieur.
« Je traite le cancer du sein depuis trente ans, indique le Pr Uzan, et j’ai entendu les filles, les sœurs, les cousines de mes patientes me demander : " Docteur, quel est mon risque ? " De nos échanges avec Florent Soubrier sur cette problématique est né le Centre ». Objectif là encore : offrir aux femmes la possibilité d’envisager l’avenir, en facilitant la continuité du suivi, en lien avec le médecin de ville. Dans ce but, le comité se réunit deux fois par mois, après un premier bilan et des examens. « Les femmes qui nous consultent vivent un contexte délicat, car elles ont vu disparaître leur mère ou leur grand-mère à l’âge qu’elles ont quand elles viennent nous voir, analyse le Dr Chabbert-Buffet. Le rôle de la prise en charge psychologique devient alors très important. » En effet, des questions vitales et difficiles se bousculent dans leur tête : peuvent-elles envisager une grossesse ; pour leurs enfants, quels sont les risques ? « C’est là que j’interviens, explique Cristilla Boucher, psychologue clinicienne. Je reçois les femmes généralement après leur consultation avec le généticien. En effet, il n’est pas anodin de dérouler son arbre généalogique, surtout dans ce contexte de risque. Je leur propose un suivi ou je les reçois à leur demande, ou quand se pose la question de la chirurgie, notamment d’une mastectomie, terrible pour elles à envisager. » Les patientes ont également la possibilité de participer à des groupes de parole, encadrés par la psychologue, afin d’échanger avec d’autres femmes sur leurs expériences, et de dialoguer sur leurs questionnements. « Le Centre collabore aux études cliniques dans le domaine de la prise en charge du risque de cancer du sein et de l’ovaire. Nous pouvons proposer à certaines femmes qui le souhaitent de participer à ces études et d’intégrer un protocole de recherche », conclut le Dr Chabbert-Buffet. Le service est d’ailleurs référent pour la prise en charge des effets adverses endocrinologiques, gynécologiques et obstétricaux des thérapies ciblées des cancers, dans le cadre de la nouvelle Cellule information conseil des thérapies ciblées des cancers mise en place à Tenon sous l’égide de l’APREC (Alliance pour la recherche en cancérologie) et sous la conduite du Pr Lotz.
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