Il est vrai que, pour le moment, cette nouvelle crise a pris un tour plutôt comique, avec une « invasion » de Jersey par des centaines de bateaux français, le tir au mousquet d'un Anglais posté sur la côte de l'île, l'arrivée à la recousse de deux navires de guerre britanniques auxquels nous avons opposé deux patrouilleurs français, bref, jeudi dernier, ce n'était pas encore Trafalgar, mais c'était surtout Clochemerle. Certes, les bateaux français ont quitté Jersey, ce qui a écarté tout risque de bataille navale. Il demeure que le gouvernement britannique a pris des engagements très précis sur la pêche et qu'il est en train de les renier.
C'était fatal. M. Johnson estime n'avoir aucun compte à rendre aux Européens, même s'il a signé des documents qui engagent sa responsabilité. En revanche, il est menacé par divers problèmes de politique intérieure et veut y échapper par les moyens de la démagogie, c'est-à-dire en se montrant ferme et même cynique à l'égard des Européens, donc des Français. Sans doute n'y aura-t-il pas de guerre franco-britannique, mais les moyens de rétorsion contre Londres sont nombreux, certains, de ce côté-ci de la Manche, envisageant de couper l'alimentation électrique de Jersey.
Une histoire de rideaux
Bien sûr, une détente est préférable. Il suffit que M. Johnson accorde aux 344 pêcheurs qui le lui ont demandé le droit de pêcher dans les eaux très poissonneuses qu'il espérait leur interdire. Cela lui serait d'autant plus facile que les Anglais ne comptent guère sur le traitement des produits de la pêche, qu'ils envoient en France pour qu'ils y soient conditionnés. Pour cela, il faudrait que le Premier ministre britannique parvienne à résoudre le problème posé par quelques dépenses somptuaires faites pour changer les rideaux du 10 Downing Street au prix de 57 000 euros payés par le contribuable. Les tabloïds de Londres en font des gorges chaudes, comme chaque fois qu'on leur donne l'occasion de vendre du scandale. Boris Johnson a peut-être commis l'erreur d'avoir limogé son ancienne éminence grise, Dominic Cummings, qui se venge en faisant courir des rumeurs malfaisantes sur le chef du gouvernement.
Lequel se porterait mieux si l'Écosse, écœurée par le Brexit, n'envisageait pas un référendum pour quitter le royaume et si l'Irlande du Nord ne recommençait pas à être saisie par les affres de la violence pour la même raison : le Brexit crée une frontière entre l'Ulster et l'Union européenne qui menace l'économie irlandaise. Tous ces événements étaient prévisibles, mais Boris Johnson continue à clamer que c'est la meilleure chose qui pût arriver aux Britanniques, enfin libérés des contraintes et de la bureaucratie européennes, et surtout contents de bouter hors de leurs eaux les malheureux pêcheurs français.
Pour le moment, M. Johnson caracole sur les sondages qui donnent aux Tories une large avance sur l'opposition travailliste. Le Premier ministre n'est donc pas près de quitter le 10 Downing Street, ce qui suffirait à expliquer qu'il veuille en changer les rideaux « coûte que coûte ». On dit que Mme Johnson n'est pas étrangère à ces dépenses, mais le couple fait fi de la médisance.