IL Y A de quoi attraper la migraine. D’un côté, les titulaires d’officine se trouvent face à une évolution radicale des technologies : des tablettes tactiles qui induisent un nouveau rapport avec les patients et les clients jusqu’aux meubles connectés chez lesdits patients, meubles qui contrôlent la prise de médicaments sous éventuellement l’œil des pharmaciens, la high-tech est susceptible de bouleverser la totalité du comportement de tous dans leur approche de la santé. Mais de l’autre, ces mêmes titulaires ont déjà bien des contraintes, une évolution pas moins radicale de leur métier, des investissements toujours importants pour une optimisation de leurs pratiques, notamment dans tout ce qui est nouvelles technologies, et un modèle économique à tenir. Difficile dans ce contexte de savoir où placer le bon curseur, celui qui permettra d’investir juste à point pour être en mesure de saisir ce moment où la clientèle pourra basculer dans des usages digitaux au sein de l’officine. Et pour les aider dans leur réflexion, en face d’eux, des agenceurs eux-mêmes en pleine gestation d’un nouveau mode d’intégration de ces technologies à leur métier. Car il faut savoir mettre en scène ces technologies digitales. Un défi pour les agenceurs.
Une impression d’abondance.
L’exemple le plus caractéristique du challenge que représente la digitalisation de l’officine pour les agenceurs est l’apparition des linéaires digitaux. Ces grands écrans exposent des produits comme les vrais, et offrent en plus des accès à diverses informations sur lesdits produits en touchant l’écran. Apparaissent des fiches, voire des vidéos, créant ainsi une interactivité ludique avec le client ; et facilitant aussi le travail des équipes officinales quand ces linéaires sont placés derrière les comptoirs pour l’OTC.
Deux spécialistes de l’automatisation, ARX et Mach 4, ont annoncé des linéaires digitaux fin 2014 et Pharmagest présentera le sien à Pharmagora, obligeant ainsi les agenceurs à réfléchir. Pour Bernard Deniel, directeur de Media 6 Pharmacie, il ne fait aucun doute que ces linéaires digitaux sont susceptibles d’apporter de nombreux avantages à l’officine : « une gestion automatisée du merchandising, de même que l’affichage des prix, une démarche explicative facilitée auprès des clients, la disparition de la démarque inconnue ». « On peut donner une impression d’abondance avec seulement deux ou trois cm d’épaisseur », ajoute Jean-Maurice Morque, gérant de Crouzet Agencement, « on obtient des linéaires toujours propres et remplis, avec un réassort moins coûteux ». Même si pour l’instant, les tarifs de ces linéaires digitaux sont quelque peu dissuasifs, « 10 à 15 % plus chers que des linéaires physiques », selon Bernard Deniel, les linéaires digitaux devraient en convaincre plus d’un. Actuellement, une toute petite poignée d’officines en fait l’expérimentation selon François Legaud, directeur commercial d’ARX. Ces officines les utilisent d’abord pour valoriser certains types de produits, ceux qui sont difficiles à présenter en linéaires classiques, comme le MAD ou volumineux, comme les couches bébés, ou encore des produits cosmétiques haut de gamme. Difficile cependant, à ce stade, de savoir si ces produits seront utilisés de manière confidentielle ou s’ils se généraliseront, auquel cas, il faudra bien que les agenceurs s’adaptent, leur sort en dépend. Notons cependant que si généralisation il y a, elle se fera d’abord dans la limite des pharmacies automatisées, puisque ces linéaires sont reliés aux robots et automates et permettent la délivrance une fois passée la commande sur l’écran tactile.
Entre prudence et enthousiasme.
Les agenceurs semblent aussi partagés dans leur approche que le sont les pharmaciens face à la question de la digitalisation de l’officine. Il y a les prudents, les pragmatiques, à l’image de François Guillot, directeur France de TH Kohl. Non pas qu’il rejette ce phénomène de digitalisation de l’officine, mais il tient à en rappeler les contraintes. « Les officines ont déjà de gros investissements informatiques à réaliser pour leur fonctionnement au quotidien, notamment pour tout ce qui est au comptoir, or les technologies proposées n’ont pas toutes ni la sécurité, ni la compatibilité souhaitables avec le système d’information de l’officine », explique-t-il. « D’où la nécessité pour les éditeurs de LGO de travailler aussi de leur côté sur l’intégration de ces technologies. » Et par ailleurs, face aux réalisations rendues possibles par l’évolution de ces technologies digitales et la réalité du comptoir, il y a encore un monde que seulement les plus audacieux franchiront. Et en face, il y a les enthousiastes, comme Jean-Maurice Morque, gérant de Crouzet Agencement. Pour lui, le véritable enjeu de nombreuses pharmacies, c’est toujours de vendre plus. « Si le produit n’est pas vu, il n’est pas pris, résume-t-il, d’où l’intérêt d’utiliser les écrans et de manière plus générale les technologies digitales afin d’augmenter la surface de contact. » En gros, plus il y a des écrans, plus il y a moyen d’attirer le regard des clients et d’entrer en contact avec lui. Pour lui, l’avenir de l’agencement est lié à celui de la meilleure exposition possible des produits, jusqu’à même envisager la réduction, voire dans certains cas la disparition du stock.
Il se pourrait que les pharmaciens se voient incités par les laboratoires eux-mêmes qui s’engagent dans la présentation digitale de leurs produits. C’est du moins l’opinion de François Xavier Boitaud, gérant de FX Agencement. « Les marques diffusent leurs messages à travers des écrans, indépendants, ou intégrés à des meubles de présentation de leurs produits », évoque-t-il. Cela permet de faire passer les bons messages sur les produits, et d’aider ainsi le pharmacien à mieux communiquer, affirme-t-il en substance. Avec le risque cependant de voir sa communication lui échapper ? Pour François Xavier Boitaud, « on reste dans la communication globale d’une officine qui n’empêche pas la relation traditionnelle entre les pharmaciens et leurs patients. » Ces meubles intégrés commencent à intéresser les agenceurs qui, du bout des lèvres, reconnaissent avoir des projets dans ce domaine.
Éclatement total de l’officine.
Même si aujourd’hui l’agencement digital en est à sa gestation, quelques idées directrices peuvent permettre de s’en faire une idée. Pour François Guillot, on assistera à « un éclatement total de l’officine, un peu à l’image de ce qui s’est passé dans les banques. Un espace dédié aux ordonnances, et d’autres spécialisés selon les choix des officines, la para, la diététique, l’orthopédie etc… » Et bien sûr le ou les espaces de confidentialité. « Ces différents espaces seront rythmés et balisés par les écrans, les bornes digitales et/ou les meubles intégrés avec écrans tactiles, précise Bernard Deniel, pour des officines qui ont de l’espace, 200 à 300 m2 ». Ils pourraient même être « réenchantés » par les technologies digitales, car celles-ci apportent de la nouveauté à moindre frais, en changeant les messages, en apportent leur touche à la création d’un univers donné. Cela est notamment très vrai pour les pharmacies qui ont choisi des formules d’agencement modulaire permettant de changer par le biais de la signalétique l’ambiance du moment.
Les technologies digitales viennent ainsi leur prêter main-forte. À condition bien sûr d’en travailler le contenu, car de la même manière que les écrans statiques ne sont efficaces qu’à partir du moment où leur contenu est réactualisé, la communication interactive doit être alimentée régulièrement. Laisser les mêmes enquêtes et les mêmes promotions sur une borne interactive pendant plusieurs mois est contre productif. « Le rôle des groupements dans la mutualisation des informations sera un vrai catalyseur », estime ainsi Bernard Deniel. Par ailleurs, l’un des espaces qui pourrait être le plus facilement travaillé avec des écrans digitaux est celui de l’accueil. Il existe des systèmes dédiés à cette tâche, comme dans d’autres commerces avec une gestion de l’attente par le biais de tickets, mais peut-être est-il possible de considérer cette gestion de manière plus ludique. François Guillot évoque des écouteurs comme dans les musées. Pour lui, l’essentiel est d’initier un parcours dans l’officine.
De toute évidence, les pharmaciens, pour ceux en tout cas qui seraient intéressés, devront choisir à travers une offre qui ne manquera pas de s’étoffer. Ils ne pourront pas utiliser tout ce qui est et sera proposé, la taille moyenne d’une officine est de 115 m2, rappelle François Guillot. La question, plus encore qu’avec l’agencement traditionnel, sera de se demander quel est l’apport concret d’un aménagement digital de telle ou telle partie de l’officine. Cela sera peut-être pour les agenceurs l’occasion de développer des idées originales afin de susciter l’intérêt des pharmaciens, comme par exemple le projet d’installer un point de rechargement des smartphones dans les officines : « le rechargement est un vrai problème pour tout le monde et il suffit d’un endroit où le faire dans l’officine pour faire entrer le client et lui laisser le temps de déambuler dans l’espace de vente, il peut très bien repartir avec un dentifrice », estime Jean Maurice Morque. « Les technologies digitales apportent aux clients de l’espace et du temps », conclut-il.
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