Parce que grands industriels un peu campés sur leurs habitudes de travail, les laboratoires pharmaceutiques ont longtemps été perçus comme des géants lourds à mener vers le digital.
Sans se prononcer sur l’état des lieux relatif à la maturité digitale globale des grands acteurs de l’industrie pharmaceutique, il faut noter qu’il s’agit d’un enjeu organisationnel majeur pour eux. Frédéric Jacquey, président de Roche Diabète Care, évoquait en octobre 2018 lors d’une table ronde organisée par les Échos Études sur les stratégies digitales des laboratoires, la nécessité d’infuser une culture numérique dans leurs organisations. Plus de deux ans après, il estime que ce travail indispensable a été fait dans son entreprise. « Si nous voulons convaincre patients et professionnels de santé, il faut qu’à l’intérieur de l’entreprise, les collaborateurs aient compris l’importance du digital. Nous avons entrepris durant deux années un programme interne d’acculturation, avec des rendez-vous, des vidéos, un travail ludique et pas uniquement " descendant " de telle sorte que l’information soit la plus accessible à tout le monde, y compris à celles et ceux qui sont les moins exposé(e)s au digital », estime ainsi Frédéric Jacquey. Et après ce travail en interne, vient la mise en pratique, qui va se déployer ce printemps. « Vis-à-vis des soignants, il faut des équipes bien préparées au digital, car présenter des solutions digitales nécessite plus de hauteur et de vision que de faire la promotion de médicaments et de dispositifs médicaux », ajoute le président de la société.
Le digital apporte de la valeur au-delà du médicament
Le digital est pour les laboratoires le moyen privilégié pour atteindre ce que l’on attend désormais d’eux, apporter de la valeur au-delà du médicament. « Nos solutions ne peuvent se limiter au seul dosage de la molécule pour aller vers un bon usage du médicament, il faut leur associer du digital », affirme ainsi Priscille Daurat-Godde, directrice marketing BU officine du Laboratoire Arrow.
Ils sont ainsi nombreux à proposer des applications digitales destinées aux patients afin d’aider ces derniers à mieux comprendre leurs pathologies et leurs traitements. Certains vont même, par exemple pour tous les patients diabétiques, proposer des applications liées à l’alimentation. Difficile d’évaluer leurs performances, certaines traversent le temps, tels Gluci check et Novi Check, deux applications signées Roche Diabète Care et destinées aux diabétiques, la première revendiquant quelque 70 000 utilisateurs réguliers. Et pour durer, il leur faut se renouveler, « elles deviennent vite obsolètes lorsqu’elles ne s’adaptent pas », remarque Frédéric Jacquey.
Mais les laboratoires cherchent à aller au-delà, et comme d’autres prestataires, travaillent sur une meilleure prise en charge globale des traitements. Par exemple, le Laboratoire Arrow a lancé aBox Mémo, une application destinée à organiser et améliorer le suivi des traitements d’un patient, jusqu’à six traitements. Une application pour une meilleure observance. Mieux, ils cherchent à s’insérer dans le parcours de soins des patients et pour certains d’entre eux, y intégrer les pharmaciens dans une vision plus globale. C’est ainsi qu’Arrow a conçu sa solution aBox Care à destination des pharmaciens pour aider ces derniers à une meilleure prise en charge des patients, notamment via la gestion des entretiens pharmaceutiques et des bilans partagés de médication. C’est peut-être enfoncer les portes ouvertes, mais les pharmaciens sont des partenaires plus que stratégiques pour les laboratoires, ils l’affirment volontiers du reste ainsi que le fait Frédéric Jacquey qui tient à souligner leur maturité sur le digital. « Ce sont parmi les soignants, les professionnels de santé les plus faciles à embarquer sur le digital », affirme-t-il.
Une gestion à double détente
Cela implique une gestion digitale à double détente, certes comme on l’a vu pour une meilleure prise en charge des patients, avec toutes les nuances que chaque laboratoire est susceptible d’apporter, mais aussi pour une plus grande fluidité dans des relations purement B to B. Tous comme les industriels gèrent leurs partenariats, les laboratoires digitalisent tout ou partie les liens qu’ils peuvent avoir avec leurs pharmaciens pris cette fois dans leur rôle de distributeurs. C’est ainsi que Roche Diabète Care a développé une plateforme Web sécurisée sur laquelle les pharmaciens sous contrat peuvent gérer en direct leurs relations contractuelles. De même, Arrow a-t-il intégré dans ses outils B to B la signature électronique pour raccourcir encore les délais de gestion administrative. C’est ainsi que la plupart ont sans doute pensé à faciliter ces relations avec leurs partenaires par ce biais-là. Mais ce n’est pourtant pas l’idéal du point de vue des pharmaciens.
« Oui, les laboratoires essaient de digitaliser leurs relations B to B avec les pharmaciens, mais moins de 10 % des pharmaciens vont sur leurs sites », souligne Clément Goupy, cofondateur de la start-up Faks, « Car ils ont de très nombreux fournisseurs, 70 au bas mot pour les plus petites, 150 et plus pour les pharmacies les plus importantes, ils ne vont pas s’amuser à aller sur tous ces sites. »
Et au-delà de cet aspect pratique incontournable, il y a aussi un aspect culturel de la relation, identifié par Maurice Belais, président d’Offisanté, « il y a en effet parfois des laboratoires brillants qui élaborent des outils sophistiqués, mais ils sont en réalité un peu loin des préoccupations des pharmaciens, ils en ont tout au moins une vision diffuse », explique-t-il.
Tiers de confiance
D’où l’apparition d’une nouvelle catégorie d’acteurs, des sortes de tiers de confiance dont le rôle est de faciliter ces échanges. Ils interviennent sur différents aspects de la relation, en tête desquelles on peut citer les ruptures logistiques, auxquelles sont très souvent confrontés les pharmaciens et leurs patients. Offisanté a ainsi développé un outil, Vigirupture pour faire face aux pénuries en consultant les disponibilités auprès des pharmacies voisines. Le spécialiste de la gestion de données s’intéresse également à un aspect clé de la relation entre les laboratoires et les pharmaciens, celui des délégués commerciaux et des rendez-vous qui vont avec, grâce à la solution Mon RDV Labo. « C’est un outil de suggestion des commandes en fonction de prévisions de ventes, lesquelles prévisions permettent aux pharmaciens de faire des choix sur les marques à présenter et les assortiments à effectuer », commente Maurice Belais.
Pour le président de la société, un tel outil permet aux pharmaciens d’avoir la capacité de mieux décider pendant le rendez-vous avec son délégué pharmaceutique. C’est aussi un outil utile pour le laboratoire puisque le pharmacien peut ainsi se concentrer sur des marques rentables pour lui et donc pour l’industriel avec lequel il va créer de la valeur. Dans ce schéma, laboratoires et pharmaciens sont dans une dynamique de partage de l’information et donc de la valeur, explique en substance Maurice Belais. « Les laboratoires n’ont pas encore fait cette approche de descendre vers le pharmacien pour un meilleur partage de valeur », constate-t-il cependant.
Espace virtuel de rencontre avec les délégués commerciaux
Le sujet des délégués médicaux est aussi dans le viseur de la jeune société Faks, elle travaille sur une solution centrée sur la gestion des relations entre eux et les pharmaciens, dans un contexte où ces derniers sont de plus en plus « insaisissables » compte tenu des nombreuses tâches auxquelles ils sont confrontés.
Faks entend construire cette solution comme une sorte d’espace de rencontre où un pharmacien souhaite entrer en discussion avec tel ou tel laboratoire tandis que les délégués recherchent des interlocuteurs dans les secteurs géographiques donc ils ont la charge. « C’est un peu comme une recherche d’amis sur un réseau social », décrit Clément Goupy. Mais pour l’heure, Faks est surtout concentré sur la gestion des réclamations, un produit typiquement fait pour simplifier les tâches administratives des pharmaciens. Plutôt que de s’éparpiller auprès de fournisseurs qui ne réagissent pas toujours très vite, ils peuvent par le biais de cette application photographier un bon de livraison et une facture pour les envoyer au laboratoire, charge ensuite à Faks de transmettre et de suivre la réclamation auprès du laboratoire. Quelque 300 laboratoires sont enregistrés sur la plateforme selon Clément Goupy. En effet, dans ce schéma, il faut convaincre les laboratoires de laisser échapper ce qui peut paraître comme une prérogative indispensable, mais selon le jeune dirigeant, des laboratoires ont compris l’intérêt qu’une telle intermédiation peut apporter, suffisamment en tout cas pour permettre à l’application de fonctionner.
La disponibilité des laboratoires représente un enjeu pour ces prestataires tiers, cela peut même poser des difficultés à certains d’entre eux. Ainsi en a-t-il été pour l’application Pharmox, une solution de gestion des plans trade pour faciliter notamment la remontée des preuves dont ont besoin les laboratoires pour payer ensuite les pharmaciens qui auront mis leurs produits en tête de gondole.
« Envoyer des photos à cinquante laboratoires est ingérable, d’où l’intérêt d’avoir une seule et même plateforme pour gérer l’ensemble des plans trade de la pharmacie », explique Julien Daou, fondateur de la société Digistrates qui a lancé cette solution. Certains laboratoires avaient commencé de lancer leurs propres solutions. Et le frein a été pour la jeune société de pouvoir convaincre un maximum de prestataires. La solution est venue du groupement Pharma Santé Développement qui a repris les actifs de Digistrates et donc Pharmox, et qui propose celui-ci à ses 1 300 adhérents, un chiffre suffisamment important pour s’imposer aux laboratoires. « Plus il y a de laboratoires et d’opérations sur l’application et plus l’application a d'intérêt pour le pharmacien » ajoute Julien Daou pour qui la simplicité de l’usage de la solution a permis de séduire près de la moitié des adhérents du groupement et plus d’une trentaine de laboratoires.
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