En pleine épidémie de Covid-19, le géant du e-commerce Amazon lance aux États-Unis sa pharmacie en ligne. Un nouveau service qui permet aux clients de déposer une ordonnance depuis leur ordinateur ou leur téléphone. Ils pourront ainsi enregistrer les informations de leur assurance santé sur un profil sécurisé. Ils peuvent aussi demander à leur médecin d'envoyer les ordonnances directement à Amazon Pharmacy. Et pour séduire les clients, des rabais de 80 % sur les génériques et de 40 % sur les médicaments princeps seront proposés aux acheteurs qui paieront sans assurance.
Ce nouveau coup d'éclat d'Amazon dans le secteur de la santé a eu pour premier effet aux États-Unis de faire chuter en bourse les titres de chaînes de pharmacie (CVS, Walgreens, Rite Aid) et les actions des distributeurs de médicaments comme Cardinal Health ou McKesson. Alors que le mécontentement gronde en France face au développement tentaculaire d'Amazon dans le commerce, cette nouvelle annonce de la firme de Jeff Bezos pourrait semer bien des inquiétudes et déchaîner d'autres passions.
« Amazon ne se contentera pas du Doliprane en France »
Président de l'Association française des pharmacies en ligne (AFPEL) et fondateur du site LaSante.net, Cyril Tétard n'a pas sauté de joie en apprenant le lancement d'Amazon Pharmacy de l'autre côté de l'Atlantique. « Je n'ai pas eu une réaction très positive, c'est le moins que l'on puisse dire, admet Cyril Tétart, Il faut se rassurer en se disant que notre système nous protège suffisamment de l'arrivée d'un acteur comme Amazon. Mais il faut savoir que le marché français les intéresse énormément et qu'ils ont des moyens considérables, rappelle Cyril Tétart. Tous les acteurs du e-commerce savent parfaitement qu'Amazon veut livrer des médicaments en France et n'a aucune intention de se contenter de la parapharmacie et du Doliprane, ils viseront les médicaments sur ordonnance, les génériques, la e-prescription… », prédit-il.
« Amazon Pharmacy, c'est dans la droite ligne de ce que cette société veut faire, il n'y a rien d'étonnant », selon Laurent Filoche, président de l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO). « Grâce à l'action que nous avons menée au niveau européen dans le dossier ShopApotheke, qui fait jurisprudence, nous sommes armés pour faire face aux velléités d'Amazon malgré le lobbying intense auquel il se livre à Bruxelles, notamment auprès des différentes autorités de la concurrence, rassure-t-il néanmoins. Ce qui se passe aux États-Unis ne peut pas se passer ici, sauf si l'on procède en France à des changements législatifs. Pour l'expliquer de manière imagée, la porte est verrouillée et elle l'est de l'intérieur. L'Europe ne peut rien nous imposer, donc il ne tient qu'à nous de la laisser fermée. » Pour rappel, le 1er octobre 2020, la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a reconnu, dans un arrêt, que rien ne s’opposait à l’application de la réglementation française au sujet de l’interdiction de la sollicitation de clientèle et de l’octroi de rabais sur les sites de pharmacies étrangers, dont la société néerlandaise Shop-Apotheke.
Comment contrer Amazon : le sujet divise
Cependant, la protection législative offerte par le droit français, qui impose que le site d'une pharmacie en ligne soit adossé à une officine physique pour avoir le droit de commercialiser sur Internet des médicaments sans ordonnance, ne rassure qu'en partie Cyril Tétart. Si le risque n'est pas imminent en France pour lui, la digue pourrait bien rompre à moyen terme. « Dans tous les pays où Amazon a voulu s'implanter il a fini par y arriver. Je redoute donc fortement que dans 3, 4 ou 5 ans, Amazon ne parvienne à ses fins. Si Amazon arrive un jour à livrer des médicaments en France. Les pharmacies perdraient alors entre 5 et 10 % de leur chiffre d'affaires », estime-t-il.
Pour Cyril Tétart, une solution permettrait d'anticiper sur les prochaines offensives d'Amazon. « Pour moi, la solution serait d'aider les pharmacies à renforcer leur position sur la vente en ligne. Assouplir les règles actuelles, nous offrir les mêmes possibilités que celles que convoite Amazon, nous autoriser à communiquer plus facilement… Cela leur compliquerait la tâche et cela permettrait aux pharmaciens de garder la main. » Un avis que ne partage absolument pas Laurent Filoche. « Au contraire, si l'on assouplit les règles en vigueur sur la vente en ligne cela revient à ouvrir la porte à Amazon. On leur montrerait que nos modèles sont convergents et Amazon en profiterait pour s'engouffrer dans la brèche », estime-t-il. Deux avis contraires qui montrent à quel point le sujet divise.
Le patient-consommateur a la clef
Pour limiter l'influence d'Amazon, Laurent Filoche compte également sur le changement de mentalité des consommateurs, sensibles aux difficultés rencontrées par les petits commerçants ces dernières semaines. « Des clients privilégient les enseignes françaises de vente en ligne, d'autres prennent conscience que le e-commerce ce n'est pas la panacée. Globalement, on voit bien que le marché de la vente en ligne ne décolle pas en France à cause de trois freins très importants : la peur de tomber sur des produits frauduleux, les délais d'attente et la défiance vis-à-vis des gros acteurs », résume Laurent Filoche.
Où en sont aujourd'hui les relations entre les pharmacies et Amazon ? Selon une responsable de la marketplace d'Amazon.fr, interrogée par le « Quotidien », « plus de 200 parapharmacies et pharmacies », utilisaient la marketplace d'Amazon début 2019 pour distribuer des produits d’hygiène, de beauté et de cosmétique. « C'est extrêmement marginal, observe Laurent Filoche. On ne gagne pas d'argent lorsqu'on passe par cette plateforme qui prend 10 à 15 % de marge. »
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