DANS UNE DÉCISION rendue le 17 juillet dernier, le Conseil d’État annule l’article L. 5125-34 du Code de la Santé publique qui limitait la vente en ligne aux seuls médicaments en accès libre au comptoir de l’officine (soit 455 médicaments). Ce sont donc près de 4 000 médicaments à prescription facultative qui pourront être vendus sur internet.
Les conséquences de cette décision risquent d’aller au-delà de la simple ouverture d’un marché, puisqu’elle a été prise pour faire respecter les principes de concurrence entre sites Internet. La limitation aux seuls médicaments en accès libre a donc été considérée comme une entrave à la libre concurrence, d’où la suppression de l’article du CSP.
La France étant un des seuls pays européens à faire prendre en charge par la collectivité les médicaments à prescription facultative, la décision du Conseil d’État fait que les sites Internet français vont pouvoir mettre en ligne des milliers de médicaments à prix réglementés, faussant ainsi la concurrence en Europe, puisque les prix fabricants hors taxes français des médicaments remboursables sont bloqués.
Combien de temps faudra-t-il à la Commission européenne pour demander la libération des prix, puisque le libre-échange n’est pas respecté et qu’adviendra-t-il de notre système de protection sociale puisque les PFHT seront libérés comme nos marges. Le bouleversement risque d’être douloureux pour les assurés, qui ont une forte probabilité de voir leurs médicaments de premier recours ne plus être pris en charge par la solidarité nationale.
Même si ce bouleversement prévisible est la conséquence d’une profonde méconnaissance du fonctionnement de notre système de soin et de ses règles par nos pouvoirs publics, il n’en reste pas moins vrai que c’est parce que nous acceptons que certains d’entre nous fassent le choix d’un mode d’exercice bafouant les plus élémentaires de nos règles que de telles décisions peuvent être prises.
Éthique et déontologie ont été sacrifiées sur l’autel de la consommation, le prix prime sur les compétences et le consommateur est choyé au détriment du malade. Le chiffre d’affaires est devenu le baromètre de la rentabilité, alors même que les indicateurs économiques ne confirment pas cette théorie et la saisie du Conseil d’État a été faite dans l’unique but d’obtenir un élargissement du référencement pour le médicament pour que le panier moyen puisse être augmenté et réduire ainsi l’impact des frais d’envoi.
La loi bafouée.
Que ce soit pour le libre accès, où, dès l’inauguration, la loi était bafouée avec la présence de compléments alimentaires, ou la vente sur Internet, où les doses d’exonération ne sont toujours pas respectées malgré la publication d’un code de bonnes pratiques, certains s’affranchissent du respect de la loi en se recommandant d’une liberté que nous n’avons pas. Nous ne serons jamais des commerçants, comme beaucoup voudraient nous le faire croire, car le refus de vente ne se résume pas à envoyer un client chez son médecin, comme un des présidents de syndicat a pu le dire dans une émission de télé, mais correspond à une obligation légale nous interdisant de vendre le plus souvent plus d’une boîte à la fois.
Nous avons oublié que c’est en respectant les doses d’exonération que la sécurité sanitaire est assurée et que, par exemple, c’est en diminuant les quantités maxima de paracétamol par conditionnement que les Anglais ont enrayé la progression du nombre de leurs décès (de 200 à 600 par an selon les sources contre 6 pour la France).
Doit-on alors mettre en péril la qualité de notre travail et notre économie, en acceptant que les règles puissent être différentes selon le circuit choisi. Pourquoi serait-il possible de stocker des médicaments en achetant par Internet, alors que ce choix n’est pas possible en officine. Est-il acceptable que le pharmacien précurseur de la vente par Internet ait obtenu gain de cause auprès du Conseil d’État pour vendre la totalité des médicaments à prescription facultative, mais que, dans le même temps, il remette en cause le code de bonnes pratiques nécessaire à l’équilibre de la concurrence entre circuit.
Le Conseil d’État, s’il a autorisé la vente de tous les médicaments à prescription facultative, a interdit la vente des médicaments à prescription obligatoire par Internet dans le même temps, interdiction que le pharmacien à l’initiative de cette décision, ne respecte pas.
Dérégulation.
Il faut admettre que si un seul pharmacien, de part son action, a pu faire modifier un article du CSP, qu’en sera t-il du fonctionnement de la profession si rien n’est fait pour encadrer drastiquement le respect des règles édictées pour les ventes Internet, règles qui ne peuvent être que celles que nous devons respecter chaque jour dans nos officines. Il est évident qu’une dérégulation de la vente de médicaments, avec un accès étendu à plusieurs types de circuit, va accentuer la concurrence sur l’automédication, concurrence qui deviendra la seule alternative pour limiter l’augmentation des prix qui devrait suivre les demandes de libération des prix de ventes sur Internet que ne manquera pas de nous adresser la Commission Européenne.
Les craintes que l’on pourrait avoir ne seraient alors pas d’ordre économique, la répartition des parts de marché faisant que le réseau officinal de proximité serait préservé, mais d’ordre sanitaire avec une accélération des stratégies commerciales qui provoqueront un non-respect des doses d’exonération, les ventes par lots étant déjà monnaie courante dans les officines à caractère commercial marqué.
Il est possible dans ces officines d’acheter pour plus d’un mois de traitement malgré la réglementation, et ce n’est pas plus respecté sur les sites Internet déjà accessibles, malgré le code de bonnes pratiques, cette réglementation étant traduit sous le terme de contraintes par les partisans de la libération des ventes.
Dérives sanitaires.
Il faut malheureusement admettre que les pouvoirs publics ne feront rien pour limiter ces dérives, et l’arrivée probable du médicament sur les rayons de la GMS, comme l’autorité de la concurrence le suggère, ne fera qu’accentuer le problème et nous nous dirigeons inexorablement vers une diminution de la sécurité sanitaire pour le médicament par l’abandon de la réglementation qui permet à la France d’avoir le leadership en la matière.
Avec une moyenne de moins de 1,2 médicament d’automédication dispensé par personne, la profession dans sa grande majorité respecte ses obligations de contrôle sur les quantités délivrées. La stagnation de cette moyenne montre que le libre accès n’a pas entraîné d’augmentation des volumes dispensés par personne et que les pharmaciens, dans leur grande majorité, ont conscience de leur rôle de modérateur.
Nos instances ordinales et syndicales devraient donc prendre leurs responsabilités et faire trancher par la justice ces manquements à nos règles. Faut-il rappeler que faire le choix de dépasser volontairement les doses d’exonération est une faute professionnelle qui relève du pénal et donc passible d’une condamnation en correctionnelle.
Au-delà de la concurrence déloyale qui caractérise ces manquements, c’est plutôt le côté dérogatoire à la sécurité sanitaire qui serait mis en évidence et qui permettrait de poser les vraies questions aux partisans de la dérégulation : pour faire économiser entre 3 et 5 euros par an, faut-il prendre le risque d’ouvrir la vente du médicament à prescription facultative à d’autres circuits que l’officine, quitte à ce que le monopole sur le médicament soit ouvert. Comment sera-t-il possible de contrôler le respect de la réglementation pour les doses d’exonération, alors qu’avec le monopole actuel les abus ne sont pas sanctionnés, alors même que ces infractions se commettent à la vue et au su de tout le monde sur les sites Internet déjà ouvert.
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