Difficile d’aborder le sujet de l’intelligence artificielle sans convoquer bien des fantasmes, brouillant ainsi la perception de la réalité de ces technologies. Des technologies pourtant concrètes que d’aucuns présentent comme la nouvelle rupture industrielle susceptible de bouleverser l’ensemble des métiers. Et notamment ceux liés à la santé : nombreux sont les analystes et spécialistes qui en effet prédisent une véritable révolution dans la manière d’identifier les maladies et de les soigner, impactant ainsi au premier chef les pratiques médicales et donc les médecins, mais aussi tous les métiers de la chaîne de soins. Plus encore, l’intelligence artificielle est susceptible de transformer le métier de pharmacien dans tous ses aspects, comme elle le fait pour d’autres professions. Pierre-Antoine Drubay, pharmacien d’officine et consultant e santé, notamment pour la société Observia, rappelle certains métiers déjà bouleversés par l’intelligence artificielle (IA), des caissières de supermarché aux traders. Et ce n’est pas fini, citant une étude menée par l’Université d’Oxford, près de la moitié des métiers sera concernée dans les vingt ans qui viennent, à commencer par les postes de secrétariat et de comptabilité. Pour Pierre-Antoine Drubay, un tel scénario peut aussi concerner les pharmaciens. D’où la nécessité de comprendre précisément les enjeux de l’IA.
IA faible et IA forte
Il faut pour cela s’entendre sur l’expression que recouvre intelligence artificielle. « C’est une expression que beaucoup utilisent pour valoriser leur offre, mais peu en font vraiment », estime Emmanuel Bilbault, co fondateur de la jeune société Posos. « Pour nous, l’intelligence artificielle est le traitement automatique des données qui permet de les comprendre et de les traiter de façon autonome. »
Dans le cas de Posos, il s’agit de traiter toutes les données relatives à l’information médicale, permettant de raccourcir considérablement la recherche documentaire des professionnels de santé. L’IA est en quelque sorte l’aboutissement de l’automatisation qui vient alors assumer des rôles divers et très poussés dans de nombreux métiers. C’est une vision un peu plus précise de cette notion que la définition classique qu’on lui donne en général, celle de simuler l’intelligence humaine. Selon Pierre-Antoine Drubay, la première ne va pas remplacer la seconde, mais va progressivement prendre en main les tâches les plus répétitives. « Il y a deux sortes d’intelligence artificielle, celle dite faible, la plus courante aujourd’hui, qui se limite à l’interprétation des données, et l’intelligence artificielle forte, qui appréhende le cognitif et les émotions, ce à quoi travaille par exemple IBM Watson. Mais nous n’y sommes pas encore. » Mais même l’IA « faible » suffit à bouleverser bien des pratiques. Concernant Posos et sa future solution de recherche documentaire, une seule question de médecin ou de pharmacien permettra de remplacer une interrogation qui d’ordinaire passe par dix ou quinze clics, soit une réponse immédiate, quelle que soit la formulation de la question, grâce au « moulinage » que le logiciel va effectuer de toutes les données disponibles sur Internet : les bases de données de santé, nombreuses, et que les pharmaciens consultent tous les jours, mais aussi tous les textes disponibles, non structurés (par opposition aux bases de données qui bénéficient d’une nomenclature très construite), tels que les textes officiels liés à la santé, les recommandations des ARS par exemple, les bases de vigilance en Europe mais aussi en Amérique du Nord ou encore le courrier médical… « C’est mille fois plus pratique pour un pharmacien », décrit Emmanuel Bilbault qui prévoit un lancement prochain de sa solution avec le soutien d’une grande entreprise spécialisée dans la santé, précise-t-il.
« Machine learning »
L’intelligence artificielle, c’est ça, un gain de temps qu’on a peine à imaginer sur des tâches qui requièrent un minimum d’attention et nécessite une manipulation humaine. Sa vocation à comprendre le langage naturel l’amène et l’amènera à s’occuper de tâches essentielles, mais relativement fastidieuses, d’autant qu’elle se nourrit elle-même de ses expériences et s’affine au fil du temps.
Pour Pierre-Antoine Drubay, la gestion de stocks sera typiquement une de ces tâches que l’IA va pouvoir traiter, libérant ainsi les pharmaciens d’une besogne indispensable mais chronophage. La gestion de stocks nécessite une prise de décision humaine, l’IA, ou plus précisément le « machine learning » comme aime à la qualifier le consultant, en français l’apprentissage automatique, va pouvoir décider, ou tout au moins proposer une décision et permettra une gestion plus proche de la réalité des stocks de la pharmacie. Winpharma a évoqué lors de l’édition 2018 de Pharmagora l’expérimentation qu’il mène avec des pharmaciens pour une automatisation totale et prochaine de la gestion de stocks, sans toutefois parler d’IA, mais ici, l’IA n’est jamais que le prolongement naturel de l’automatisation. Pierre-Yves Drubay souligne que d’autres acteurs travaillent sur une réadaptation intelligente des stocks grâce à l’IA. Cela devrait conduire à une façon différente d’utiliser les systèmes d’information en pharmacie et notamment les LGO, aujourd’hui ressource principale pour de l’essentiel des tâches, condamnés selon le consultant à s’ouvrir à l’IA ou aux spécialistes de l’IA.
Les « chatbots » sont partout
Autres solutions découlant de ces technologies, les chatbots ou agents conversationnels, ces solutions numériques qui permettent de dialoguer. Hélène Decourteix, consultante pour La Pharmacie Digitale, a écrit sur son blog deux articles où elle détaille les possibilités offertes par ce type de solution. Elle y évoque notamment les possibilités pour ces chatbots de servir d’assistant professionnel au pharmacien : l’amélioration des relations clients avec les fournisseurs, la pharmacovigilance, l’évaluation de l’efficience des services… Pour la préparation de commande sur le LGO, « certains paramètres peuvent être personnalisés pour l’édition d’un projet de commande (durée du stock tampon, durée du réassort souhaité, délais de paiement, colisage, prix, historique des ventes…) », écrit-elle. « La proposition de quantité du projet de commande est basée sur un historique des ventes. Cependant, ce dernier est peu contextualisé (…) On peut imaginer un algorithme intelligent plus prédictif et plus précis de suggestion des quantités à commander. Cette proposition tiendrait compte de multiples facteurs internes et externes ainsi que de leurs variations, dans le temps, liées à un contexte particulier. Les projets de commandes seraient plus justes et prendraient moins de temps à vérifier. » Hélène Decourteix analyse également l’apport potentiel des chatbots pour la gestion des erreurs lors de la réception des commandes. C’est dire si l’IA accélère très sensiblement les possibilités de gérer autrement et de façon plus dynamique et efficace le fonctionnement des officines.
Assistance aux patients
Les chatbots concernent aussi les relations directes avec les patients. Plusieurs exemples illustrent ce qu’il est possible de faire, orienter, aider, conseiller les patients par le biais de ces assistants numériques. We Fight par exemple s’est spécialisée en oncologie, plus précisément le cancer du sein. C’est un chatbot qui répond aux patientes et leurs proches, à leurs questions relatives aux traitements, à leurs effets secondaires, à l’alimentation, et d’autres éléments liés à la façon de vivre leur maladie. Un moyen pour les patientes d’avoir un interlocuteur et des réponses personnalisées, sauf que cet interlocuteur n’est pas humain. Mais pour Pierre-Antoine Drubay, ce chatbot est exemplaire de ce qu’il est possible de faire pour aider les patients, sans pour autant se substituer aux médecins mais en conseillant là où il y a un vide. Autre exemple, celui de Pharmaseek, qui explique sur son site Web l’usage de l’intelligence artificielle pour faire en sorte de préconiser conseils et produits comme le ferait un être humain. Pour réussir ces outils, il faut selon Hélène Decourteix une quantité et une qualité de données suffisantes afin de pouvoir apporter des réponses adaptées. Ces outils se passent de l’étape du pharmacien, et dans le domaine du conseil, le supplantent. D’où l’intérêt de s’y intéresser d’une manière ou d’une autre.
Il existe heureusement des initiatives qui soit les intéressent directement, soit passent par eux dans différents domaines qui concernent le conseil et l’assistance aux patients. Certaines d’entre elles ont été évoquées dans le dossier consacré à la prévention paru dans le Quotidien du Pharmacien le 26 novembre dernier, qu’elles émanent de start-up spécialisées dans l’assistance à la personne comme Noviatek et Lili Smart ou de groupements, Népenthès et les Pharmaciens Associés, pour aider les pharmaciens à maîtriser de nouveaux outils digitaux de prévention dans différents domaines. Les bilans de médication représentent également une cible pour le traitement automatique des données qui peut grandement aider les pharmaciens (voir encadré sur Mesoigner.fr). Il reste néanmoins le plus important, s’approprier ses outils. Comme toujours dès lors qu’il s’agit de technologies, cela représente un véritable défi, et dans le cas des outils utilisant cette automatisation très poussée des tâches, les accepter comme une aide pour un exercice différent de la pharmacie, plus centré sur le conseil et la relation humaine. La tâche n’est pas simple pour les pharmaciens, coincés entre la nécessité d’anticiper l’évolution des usages comme le préconisent les prestataires et celle de temporiser en attendant que l’offre mûrisse. D’où l’intérêt des modèles peu coûteux, voire gratuits que proposent par exemple certains groupements.
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