LA VENTE en ligne de médicaments n’échappe pas à l’éternel conflit entre sécurité et liberté. Les « bonnes pratiques » prévues par l’arrêté du 20 juin 2013, qui concrétisent les règles édictées par l’ordonnance du 31 décembre 2012, suscitent un débat pour le moins vif. Pour les uns, il est le gage de la sécurité des patients qui souhaitent commander leurs médicaments sur la Toile, pour les autres, il contredit la nature même du commerce sur Internet. Nicolas Métairie, fondateur de Pharmarket résume ainsi la situation : « nous avons une loi locale, destinée à protéger les patients français, construite sur une architecture internationale. » Il n’est pas facile d’avoir une réglementation aussi poussée destinée à encadrer une activité sur un support d’une nature aussi libre et souple qu’Internet. Personne toutefois ne critique le bien fondé d’une réglementation autour de la vente de médicaments sur Internet. « La sécurisation est nécessaire », souligne Jérôme Lapray, responsable marketing de Pharmagest. « Cela étant, les règles de l’arrêté alourdissent le processus d’achat en ligne. » « Ce sont des mesures très restrictives », estime Yves Bottin, directeur général d’Itek Pharma. « Ca ne colle pas avec la réalité de la vente en ligne », renchérit Ghislain Vanlaer, gérant de Medprice Services. Charles Rabiller, responsable de Pharmadomicile estime pour sa part légitime une telle sécurisation. Et du reste, ses concurrents se rangent à un certain pragmatisme : « dans un an ou deux, il y aura plus de souplesse sur les critères », espère ainsi Yves Bottin.
Des conditions de sécurité draconiennes.
Le premier point qui fait débat est le type d’hébergement réclamé par les bonnes pratiques. Les sites de vente en ligne doivent être confiés à un hébergeur disposant de l’agrément HDS, donnant autorisation d’héberger les données de santé. Cet agrément est délivré par le ministère de la Santé. Les données circulant sur un serveur de ventes en ligne doivent être protégées. Mais certains se demandent s’il fallait aller aussi loin. Il faut dire que l’agrément HDS est difficile à obtenir, coûteux pour les entreprises ou les organismes qui décident de s’y soumettre, un coût forcément répercuté à un titre ou à un autre. Le coût d’un site Web étant déjà élevé, faire appel à un hébergement HDS peut représenter un handicap. « De plus, cela pose des problèmes techniques en termes d’ergonomie et de souplesse d’utilisation, note Ghislain Vanlaer, la liste des sites actuellement autorisés s’est d’ailleurs tarie dès la parution de l’arrêté. » Le gérant de Medprice Services estime que la très grande majorité des quelque 45 sites autorisés (pour de la vente de parapharmacie) ne répond pas à ce critère précis de l’agrément HDS. Mais une fois passée la grogne, les prestataires s’engagent dans un hébergement sécurisé selon la loi, soit parce qu’ils ont déjà l’agrément HDS, soit le plus souvent en travaillant en partenariat avec un organisme agréé.
Autorisation de l’ARS.
L’autre point qui focalise l’attention des spécialistes de la vente en ligne est lié aux conditions nécessaires pour que le patient puisse commander sur un site de vente en ligne. Il ne doit pas tomber sur un faux site qui vendrait des médicaments issus de la contrefaçon. Et dans cet objectif, les bonnes pratiques ont mis en place de nombreux gardes fous. À commencer par l’obligation pour tout site de vente en ligne d’être rattaché à une pharmacie physique, une disposition sur laquelle tout le monde semble d’accord. Ladite pharmacie doit prouver qu’elle est réelle, l’adresse URL doit être sur le site de l’ARS qui lui aura au préalable donné l’autorisation de vendre en ligne (un des éléments parmi tant d’autres qui prouvent l’identité du pharmacien). Le patient s’engage alors dans un échange qui le conduit d’abord à donner son autorisation relative à ses données de santé, ensuite à fournir un certain nombre d’informations le concernant, dont notamment ses traitements en cours. Il a l’obligation de lire les notices de médicaments. Et ensuite le pharmacien, qui de son côté a d’autres formalités à suivre (mentions obligatoires comme le numéro d’inscription à l’ordre et bien d’autres), doit valider et contrôler ces informations. Bref, un processus d’achat un peu long qui risque de déconcerter quelques habitués de la vente en ligne.
La place de l’e-commerce dans la stratégie officinale.
Les éditeurs et spécialistes de la vente en ligne ont cherché à anticiper le mieux possible ces bonnes pratiques, mais ils doivent cependant, pour certains d’entre eux, revoir leur copie et réajuster leur offre en fonction de ce qui est attendu par la loi. Voilà qui risque de retarder un peu l’essor attendu de la vente en ligne de médicaments, mais ne remet pas en cause, selon eux, les perspectives de développement de ce marché. Car la demande est là. La majorité des pharmacies ne cherchera pas forcément à y aller, mais elles seront nombreuses à considérer la vente en ligne comme indispensable à leur activité. « C’est une réflexion qu’il faut mener sur les sites Internet dans leur globalité », estime Charles Rabiller. « Beaucoup de pharmacies rurales situées en zones de désertification médicale ont besoin d’Internet pour montrer la gamme de leurs services, la brique e-commerce n’en étant qu’une parmi d’autres, ce serait une erreur, du reste, de ne faire que de la vente en ligne, une activité dont la rentabilité est difficile. » « Certaines pharmacies seront attirées par la volonté d’être leaders de la vente de médicaments sur Internet, mais elles ne sont qu’une poignée, car cela demande beaucoup de moyens, la plupart feront de l’e-commerce pour prolonger l’activité de leur pharmacie physique », juge pour sa part Ghislain Vanlaer. Dans ce dernier cas, cela signifie des sites avant tout conçus pour attirer les clients patients sur une zone de chalandise déterminée, autour de la pharmacie, du quartier, de la ville pourquoi pas, mais guère plus. L’e-commerce n’est alors qu’un service parmi d’autres. Mais dans cette perspective, la possibilité de vendre des médicaments s’impose, car ils sont plus rentables que les produits de parapharmacie. Or la rentabilité des sites de ventes en ligne est loin d’être évidente.
Une équation économique complexe.
Se lancer dans l’e-commerce suppose en effet un investissement non négligeable. Particulièrement pour les pharmacies désireuses de jouer un rôle clé sur le marché national. Cela représente, outre le site en lui-même, qui selon certaines estimations coûte entre 20 000 et 30 000 euros pour un outil de qualité, un back-office spécial capable de préparer et d’envoyer les commandes quotidiennement, le coût de l’hébergement et celui de l’actualisation régulière du site, soit au total selon Nicolas Metairie, un budget mensuel situé entre 5 000 et 10 000 euros. Pour les plus ambitieux, sans doute faudra-t-il des développements spécifiques. Mais pour les officines qui souhaitent juste construire un site Internet et prolonger ainsi leur activité avec une brique e-commerce, l’équation est également compliquée. D’où la tendance aujourd’hui que l’on peut noter chez les prestataires, qui consiste à proposer des plates-formes mutualisées, des sites disposant d’un socle commun qui puisse ensuite être personnalisé. « Un pharmacien n’est pas un acteur du Web », explique Nicolas Métairie, « nous l’aidons à construire le contenu de son site. » Pharmarket et Pharmadomicile développent ainsi des plates-formes de ce type afin de mutualiser les coûts. Pharmarket a même choisi d’utiliser une enseigne commune sous son nom. Un catalogue unique pour toutes les pharmacies sous cette enseigne leur propose 400 médicaments et 400 produits en parapharmacie. « Se référer à un catalogue commun peut paraître être une contrainte, c’est au contraire une façon de libérer le pharmacien d’une tâche difficile, celui d’alimenter un catalogue de produits de vente en ligne », souligne Nicolas Metairie. La sélection des produits pour ce catalogue est mise à jour régulièrement, et ce d’autant qu’Internet permet de mesurer rapidement les résultats d’une mise en ligne. Les catalogues ne pourront de fait pas disposer d’un trop grand nombre de références, le travail pour tout photographier et établir les textes de présentation serait énorme. D’où la nécessité de faire un juste choix. Les prestataires ne proposent et ne proposeront pas tous des catalogues, estimant que ce n’est pas forcément leur métier, mais pourront conseiller leurs clients à ce sujet.
Les prestataires travaillent sur la présentation de la vente de médicaments qui doit se distinguer de celle des produits de parapharmacie. « Le site doit être bien conçu pour présenter les deux types de produits », explique Ghislain Vanlaer, « avec un système de sécurité différent, une interface différente… »
Plus délicat encore est la nécessité de générer le trafic suffisant pour faire en sorte que le site soit visible, fréquenté et engendre des ventes. Dans le cas des pharmacies, très encadrées par la loi quant à leur communication, « payer des moteurs de recherche pour sortir parmi les premières adresses n’est pas possible », selon Yves Bottin. Cela signifie alimenter le site, faire en sorte que le contenu soit riche et non redondant. D’où la volonté des prestataires de proposer du contenu aux sites des pharmaciens qui souscriraient des formules mutualisées.
Interopérabilité.
Dernier élément qui peut intéresser les pharmaciens, c’est l’interopérabilité avec les logiciels de gestion d’officine, même si cela n’est pas indispensable, cela fait assurément gagner du temps. Le problème ne se pose pas pour les éditeurs qui ont leur propre solution comme Pharmagest, mais la plupart travaillent avec des spécialistes de l’e-commerce, Isipharm par exemple est en partenariat avec Pharmadomicile et Alliadis avec Pharmarket. Des partenariats qui se traduisent par une interopérabilité parfaite. « Les pharmaciens peuvent mener des opérations de vente électronique directement depuis leur logiciel métier, et n’ont donc pas besoin de changer d’environnement informatique. Des passerelles existent également avec les logiciels d’Alliadis et Pharmagest, mais elles se limitent à la récupération des prix et des stocks », souligne Charles Rabiller.
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