Le Quotidien du Pharmacien.- L’année 2015 a été une année charnière pour l’économie de l’officine, puisque la rémunération a été modifiée avec le transfert d’une partie de la marge commerciale vers de l’honoraire. Peut-on en tirer des premières conclusions ?
Philippe Becker.- L’examen des comptes de résultats des officines en 2015 fait ressortir des données qui sont assez difficiles à comparer avec l’année 2014. Une grande majorité des officines clôturent leurs comptes en cours d’année et, par conséquent, l’impact de la modification de la rémunération doit être proratisé. De plus, on observe, et c’était prévisible, une migration des avantages liés à la coopération commerciale vers de la remise. Tout cela la même année !
Outre le chiffre d’affaires, nous avons donc pris le parti, afin de pouvoir livrer des premières conclusions, de comparer la marge brute globale entre 2014 et 2015, qui inclut la marge sur les ventes et les prestations.
D’abord l’activité : comment a évolué le chiffre d’affaires en 2015 ?
Le premier constat est que l’année 2015 ressemblera à 2014. En effet, avec une baisse globale de 1,17 % du chiffre d’affaires hors taxes (ventes + honoraires + coopération), nous sommes dans la même tendance que l’année précédente. Cela est encore plus vrai lorsqu’on analyse les gagnants et les perdants. Sur les comptes de résultats 2015 clos en cours d’année, 37 % des pharmacies voient leur chiffre d’affaires progresser de près de 3,83 % alors, qu’à l’inverse, près de 63 % des officines régressent très significativement (- 4,29 %).
Plus que jamais, il y a une pharmacie libérale à deux vitesses. Et c’est à relier à l’accélération des fermetures des officines les plus touchées par la baisse d’activité. Nous l’avions déjà souligné dans notre dernière étude : près de 33,94 % des officines ont subi une baisse cumulée de chiffre d’affaires depuis trois ans.
Vos chiffres montrent toutefois une évolution légèrement positive de l’activité sur le 3e trimestre. Peut-on dire que la courbe est en train de s’inverser ?
Je ne pense pas, car le dernier trimestre de 2015 aura été difficile du fait de la baisse de prix de nombreux médicaments. Mais il faut insister sur le fait qu’il y a surtout une diminution du panier moyen sur le médicament remboursable, et non une diminution de la fréquentation sauf, bien évidemment, pour les officines mal placées ou souffrant de la désertification médicale. En général, ce sont d’ailleurs ces officines qui disparaissent.
Revenons à la marge brute : elle est globalement restée stable d’après vos chiffres. Ce n’est donc pas la catastrophe ?
C’est exact. Malgré des transferts entre coopération, honoraires et marge commerciale, le chiffre global de la marge est globalement stable. Si c’était l’objectif des dernières réformes, il est atteint. Reste à savoir si tous les pharmaciens sont logés à la même enseigne. Ce sera l’objet de notre étude qui paraîtra en 2016.
Sur la rentabilité, que peut-on dire ?
En 2014, avec le même échantillon, nous avions un taux de rentabilité de 9,65 % du chiffre d’affaires. En 2015, nous avons 9,83 %. D’après nos premières observations, il n’y a donc pas de dégradation liée au nouveau mode de rémunération.
Quels sont, selon vous, les faits économiques marquants de l’année qui vient de se terminer ?
J’ai été très troublé par l’accélération des fermetures d’officines. C’est indiscutablement un marqueur fort, en 2015, d’une situation économique très dégradée pour certaines officines. L’ampleur du problème doit nous interpeller.
Quant au marché de la transaction, c’est le calme plat en ce moment. L’absence d’acquéreurs et surtout de primo accédants qui, par le passé, animaient le marché, est inquiétante. Personnellement, j’anticipe une nouvelle diminution des prix moyens. La bonne nouvelle est que l’on parle désormais de rentabilité et d’EBE retraité pour fixer les prix de vente. Il faut bien avouer que se référer à un chiffre d’affaires qui baisse n’est plus très séduisant !
Que faut-il souhaiter aux pharmaciens pour qu’ils retrouvent le moral ?
Premièrement, il faudrait leur donner un peu de visibilité et de stabilité. Concrètement, il est urgent que les pouvoirs publics disent ce qu’ils veulent pour l’officine libérale française à l’horizon de cinq à dix ans. À force de souffler le chaud et le froid, plus personne n’y comprend rien.
Ensuite, il me paraît important d’arrêter de véhiculer des clichés sur les pharmaciens nantis. J’en rencontre beaucoup qui travaillent soixante-dix heures par semaine pour un salaire de 3 000 euros par mois avec, souvent, près d’un million d’euros à rembourser à la banque. Si c’est cela être nanti, alors il y a un problème sur la définition du mot !
Arrêtons aussi ces pseudo-enquêtes sur le prix des médicaments en officine. Que les enquêteurs aillent aux États-Unis pour découvrir ce qu’est un médicament vraiment cher. Et que l’on stoppe ce « french bashing » sur notre système de santé. Certes, il n’est pas parfait, mais lorsqu’on sort de nos frontières, on voit combien peut manquer la présence rassurante du pharmacien français.
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