DES REDRESSEMENTS douloureux. Trois pharmaciens viennent d’être condamnés à payer de 50 000 à près de 150 000 euros par le tribunal correctionnel d’Avesnes, dans le Nord. Leur délit ? « Défaut de tenue de la comptabilité-matières pour les produits alcooliques, détournement du régime d’exonération de l’alcool éthylique et non paiement de l’impôt sur les produits alcooliques », aligne Philippe Marnat, directeur des services douaniers de la direction des Douanes de Lille qui les ont assignés en justice.
En un mot, il leur est reproché d’avoir omis de s’acquitter des droits d’accises pour la dispensation d’alcool à 90°. Soit 15 euros par litre, pour des volumes conséquents : 7 000 litres en un an pour l’un d’entre eux, 400 flacons de 250 ml en une seule journée pour un autre titulaire.
Nouvelles vagues de procès.
La condamnation est tombée le 14 janvier. Le même jour, une affaire similaire était jugée à Cambrai, à soixante kilomètres de là. Avant eux, plusieurs dizaines de titulaires avaient déjà fait l’objet de redressements fiscaux pour les mêmes motifs. Au moins vingt autres procès sont attendus dans les prochains mois. « Les douanes ont repris les procédures », relève-t-on dans les cabinets d’avocats spécialisés pour défendre la profession dans ces affaires.
S’agit-il de la dernière salve de l’administration fiscale ? Il se pourrait en effet que les services de douanes jouent contre le temps. Le délai de prescription de trois ans s’amenuise de jour en jour pour les procès-verbaux dressés avant 2012. À partir de cette date, curieusement, les douaniers se sont faits plus discrets. Et pour cause. Bien qu’elles aient été chargées par le législateur en 2012 de fixer les contingents annuels d’alcool à 90° exonérés de droits, les douanes ne se sont toujours pas prononcées.
Législation opaque.
Est-ce à dire que cette « omission » est volontaire car elle permet de poursuivre les procédures engagées ? Certains titulaires le pensent. Cette interprétation traduit le flou qui entoure la dispensation d’alcool à 90° au comptoir. Depuis cinq ans, cette question pollue les relations entre la profession et l’administration fiscale, en l’occurrence les Douanes qui ont la charge depuis 1993, et la disparition des postes frontières, des contributions indirectes avant impôts. « Il est plus facile d’allumer un pharmacien qu’un viticulteur ! », lance Me Jean-François Fouqué, défenseur de 88 pharmaciens. L’avocat niçois connaît le dossier. Il y a encore six ans, il était spécialiste du renseignement à la direction générale des Douanes et Droits indirects.
Selon lui, la question s’est complexifiée à partir de 2010. Alors que, depuis 1999, les pharmaciens sont exonérés de toutes accises sur la délivrance d’alcool à 90°, les services des douanes apprécient soudain, de manière très restrictive, la directive européenne de 1992. Celle-ci prévoit certes « l’exonération des droits d’accises pour l’alcool utilisé à des fins médicales dans la pharmacie sans condition de contingent », mais exige en même temps, de garantir « la bonne utilisation de l’alcool par les pharmaciens afin de lutter contre les pratiques consistant à vendre en exonération, de l’alcool aux particuliers qui élaborent des boissons alcooliques ». Le hic, c’est que les pharmaciens n’ont pas connaissance de la directive communautaire. À leur corps défendant. Cette directive de l’Union européenne n’a été transposée en droit français que le 29 décembre dernier dans la loi de Finances rectificative de 2014 (voir encadré) !
Des écoulements suspects.Face à cette situation pour le moins alambiquée, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens avait recommandé dès 2010 * « de maîtriser les quantités (notamment en conditionnement de 125 ml ou 250 ml) et de tenir une comptabilité matières pour des quantités supérieures ou égales à 100 litres ».
De toute évidence, certains titulaires ont pratiqué en eaux troubles. Si l’on ne peut leur tenir rigueur de n’avoir pu maîtriser la destination finale de l’alcool à 90° délivré, ils auraient dû être alertés par les quantités réclamées au comptoir. Les services des Douanes s’en sont chargés pour eux. « Renseignées par mon fournisseur, les douanes se sont présentées en novembre 2011, ils ont fait l’inventaire du stock. Ils sont revenus deux ou trois fois faire des comptages et nous ont reproché des choses qui ne figurent pas dans la loi française », se souvient l’un des titulaires condamnés à la mi-janvier. Il comprend d’autant moins sa condamnation qu’il dit « s’être astreint à ne délivrer que des flacons de 250 ml, un à un ».
Alors que dans la profession et dans les tribunaux, on ironise sur un Tour de France du limoncello, du génépi, du vin de noix et d’autres apéritifs maison, Me Stéphane Boileau reste inébranlable. Cet avocat, pharmacien de formation, défend de nombreux pharmaciens. « Les ventes d’alcool à 90° dépendent de l’activité de l’officine. Si celle-ci détient un rayon vétérinaire, elle peut être sollicitée par des clients belges pour la désinfection de boxes de chevaux ou d’autres animaux. Certains éleveurs fabriquent eux-mêmes leur désinfectant, ce qui leur revient moins cher. » Il est vrai que, comparé au prix de l’alcool en Belgique (37 euros/l) et en Italie (20 euros/l), le flacon français – hors droits acquittés – reste concurrentiel. Le différentiel n’échappe pas aux blogueurs étrangers qui, aux dires des pharmaciens frontaliers, s’échangent les bonnes adresses de l’officine française.
Un mauvais antiseptique.
Pour autant, Stéphane Boileau souligne que l’on ne peut reprocher aux clients belges, ni aux professionnels de santé français venant s’approvisionner, de faillir au principe de précaution. « Nous étions alors en plein épisode de grippe aviaire et de grippe H1N1 », rappelle-t-il. Reste qu’un postulat de base a transcendé l’ensemble des imbroglios juridiques : « Les titulaires ont à charge de justifier les fins médicales ou pharmaceutiques de leurs ventes d’alcool. » Mais la tâche s’avère souvent difficile car, excellent désinfectant de surface, l’alcool à 90 ° n’est pas l’antiseptique idéal. Toutefois, la désaffectation pour le produit est moins causée par cette caractéristique que par la lassitude des pharmaciens. « C’est terminé, je n’en vends plus. Je ne veux plus prendre de risques. »
À l’instar de ce pharmacien condamné, nombre de titulaires refusent désormais la délivrance d’alcool. À plus d’un titre, puisque l’alcool à 70 ° est lui aussi touché par cette tendance. Selon Prune Rivary, chef de produit chez Cooper, le marché de l’alcool modifié a baissé de 0,9 % en volumes en 2014.
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