Elles sont environ 4 000 pharmacies en France à réaliser moins d’un million de chiffre d’affaires par an. Et leurs jours seraient comptés. Cette réalité, pointée du doigt par les syndicats de pharmaciens, est corroborée par les statistiques professionnelles de la pharmacie 2018 publiées par le réseau d’experts-comptables indépendants Conseil Gestion Pharmacie (CGP) (1). En 2018, leur excédent brut d’exploitation (EBE) a chuté de 6,97 %. Cet indicateur, le plus significatif pour mesurer la rentabilité de l’officine, représente désormais 11,44 % de leur chiffre d’affaires, contre 12,05 % il y a encore un an.
Ce sont donc 6 500 euros de moins qu’en 2017 qui échapperont au titulaire pour rembourser son emprunt, améliorer son niveau de trésorerie et… se rémunérer. « Cette somme équivaut à 30 % de la rémunération de ces pharmaciens », s’alarme Joël Lecoeur, expert-comptable, fondateur et dirigeant du cabinet LLA experts comptables à Caen (Calvados), et président du réseau Conseil Gestion Pharmacie (CGP). Ces petites officines paraissent d'autant plus fragilisées que la mise en place de l’honoraire, censée compenser la baisse des prix des médicaments, ne semble pas jouer, pour l'instant, son rôle d’amortisseur.
Pour ces petites pharmacies, la situation paraît à peine tenable sur la durée, tant tous les voyants sont aujourd'hui au rouge. Sur un marché global qui enregistre une hausse moyenne de son chiffre d’affaires de 1,12 % (voir ci-dessous), elles sont les seules à accuser un recul. Leur CA atteint aujourd'hui 756 000 euros en valeur, soit 2,04 % de moins qu'en 2017. Cette tendance dénote les difficultés qu’ont désormais les officines de petite taille à compenser par la fréquentation et le volume des ventes, la baisse des prix du médicament (3,71 %).
Les chiffres CGP démontrent qu’elles sont aussi les seules à subir une régression de leurs honoraires de dispensation et de leur ROSP. Tandis qu’en 2018, ce volet de rémunération croît de 0,83 % sur l’ensemble du réseau, soit 1 200 euros par officine en moyenne, il recule de 2,17 % dans les petites officines et les prive encore de 1 400 euros.
Le poids des charges d'exploitation
La pharmacie française serait-elle aujourd’hui en plein paradoxe ? Car si elles sont les premières à jouer le jeu de la réforme, en réalisant 8,49 % de leur chiffre d’affaires en honoraires et ROSP, les petites officines sont aussi celles qui risquent un jour de manquer des moyens nécessaires pour développer, voire pérenniser, ces nouvelles missions. Le poids des charges externes représente dans ces pharmacies 7,02 % du chiffre d’affaires, contre seulement 5,24 % en moyenne dans le réseau officinal. Les loyers, - 1,97 % du chiffre d’affaires -, sont, eux, en hausse de 2,34 % en 2018. Quant aux charges de personnel, certes limitées à 9,53 % du chiffre d’affaires dans ces officines le plus souvent mono titulaires, elles y ont néanmoins augmenté davantage que sur l’ensemble du réseau officinal.
C’est dire si, ployant sous des charges comparativement plus élevées que dans les autres officines, les petites structures peinent à relever les défis de la mutation officinale. Un constat qui laisse perplexes les observateurs, conscients que la rémunération de l’officine dépendra de plus en plus des nouvelles missions. « Il est difficile d’imaginer, dans ces conditions, comment ces titulaires pourront embaucher de nouvelles compétences pour réaliser des entretiens et s’impliquer dans de nouvelles missions. De même, comment investir dans un local de confidentialité, dans un robot ou encore dans l’informatique », s’interroge Joël Lecoeur.
Les oubliées de la transaction
Ce manque de perspectives n’échappe pas aux éventuels investisseurs. Nul besoin de souligner que ces difficultés se répercutent directement sur le marché de la transaction. Seulement 10 % des cessions opérées en 2018 ont concerné des officines de moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires. « Cela pose problème pour assurer le renouvellement de ces officines. Leurs prix de cessions devraient baisser afin d'alléger l'endettement des acquéreurs qui pourront ainsi mieux se rémunérer. Alors seulement, il sera possible d'attirer à nouveau des titulaires candidats à l'achat de ce type d'officine », affirme Joël Lecoeur.
Ce dernier refuse ainsi de voir ces petites structures condamnées. Du reste, toutes les petites officines ne sont pas égales face aux diktats de la rentabilité. « Leur localisation est un critère important, une pharmacie au chiffre d'affaires de 800 000 euros dégage une meilleure rentabilité en milieu rural qu'en zone urbaine », souligne l'expert-comptable, ajoutant que certaines stratégies permettent de sortir de l'impasse. « Elles peuvent jouer la carte de la mutualisation des services et de la spécialisation, trouver de nouveaux relais de croissance, s'appuyer sur des groupements », énumère-t-il.
Joël Lecoeur insiste également sur la nécessité de faire évoluer les outils juridiques. « Il faudrait permettre à des associés d'une même SPF-PL (2) de détenir plusieurs officines exploitées en SEL (3), dans la limite fixée par les textes en vigueur. Autre adaptation, autoriser une SEL à détenir deux ou trois fonds sur un périmètre restreint, comme un territoire de santé, afin de mutualiser les services, favoriser les regroupements et optimiser les charges d'exploitation », propose l'expert-comptable.
Et si, dans un contexte de désertification médicale, la survie de ces petites officines était également liée à la volonté des pouvoirs publics ? À l’instar de certaines instances de la profession, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) notamment, Joël Lecoeur suggère l’idée que certaines de ces officines situées dans des déserts médicaux puissent bénéficier d’un forfait journalier. Similaire à celui de la permanence des gardes, il serait en mesure d'assurer la rémunération du titulaire. Et de maintenir ainsi le maillage officinal sur l'ensemble du territoire.
(1) Sur 1 741 officines du réseau, dont 38,77 % en zone urbaine, 31,59 % en zone rurale, 22,29 % dans les gros bourgs, et 7,35 % en centre commercial.
(2) Société de participation financière de profession libérale (holding).
(3) Société d'exercice libéral.
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