Le Congrès économique des pharmaciens allemands, qui permet chaque année de présenter les derniers chiffres sur l’actualité de la pharmacie et de débattre des principaux sujets économiques touchant les officines, a été très largement dominé par les conséquences de l’arrêt de la Cour de Justice européenne qui, le 19 octobre dernier, a autorisé les pharmacies virtuelles installées aux Pays-Bas à vendre en ligne des prescriptions aux patients allemands, en pratiquant des remises et des « boni » sur ces produits, aussi librement qu’elles le font pour les OTC.
Pour les pharmaciens, comme pour le ministre de la Santé, Hermann Grohe (Chrétien démocrate CDU), ces ventes menacent à terme tout l’équilibre des officines d’outre-Rhin, dont le nombre continue d’ailleurs à diminuer d’année en année. Hermann Grohe a, pour cette raison, préparé un projet de loi pour interdire purement et simplement les ventes de prescriptions par correspondance, avec ou sans remises, mais les socio-démocrates du SPD, membres de la coalition gouvernementale, ont refusé de valider ce projet, désormais au point mort.
Lors de leur congrès à Berlon, le premier depuis la parution de l’arrêt européen, les responsables économiques de l’ABDA, l’association faîtière des pharmaciens, ont évalué les conséquences de cet arrêt pour l’avenir des officines. Selon Claudia Korf, déléguée générale de l’ABDA, les ventes de prescriptions en ligne ont représenté 1,3 % du chiffre d’affaires de ce secteur en 2016 (dont près de 10 mois sans remises possibles), soit 41 millions d’euros et 7 millions de boîtes. Dans le même temps, les OTC vendus en ligne ont représenté 13, 5 % du chiffre d’affaires réalisé par ces produits, avec 97 millions de boîtes. Mais Mme Korf estime que si l’on extrapole la progression des ventes par correspondance des prescriptions avec celle des OTC ces dernières années, mais aussi avec celles d’autres secteurs comme l’électronique ou les vêtements, ces ventes représenteront 10 % du secteur dans trois à cinq ans, et 25 % dans cinq à dix ans. Cela signifierait des fermetures massives de petites officines, incapables de perdre une telle part de chiffre d’affaires, alors que leurs frais sont fixes.
La France concernée
Comme elle le rappelait par ailleurs en aparté au « Quotidien », « nos confrères français sont menacés eux aussi par des évolutions comparables car Doc Morris va tout faire au niveau européen pour continuer à avancer dans cette direction ». Elle appelle les pharmaciens européens à se mobiliser contre les pharmacies virtuelles et souligne que la « pharmacie automatique » ouverte la semaine dernière, puis fermée par les autorités, à Hüffenhardt dans le Bade-Wurtemberg*, n’est « que le prototype d’un modèle que Doc Morris s’apprête à diffuser dans toute l’Europe ». Hasard grinçant du calendrier, pendant que Mme Korf faisait son exposé devant les pharmaciens, une dépêche de l’agence de presse allemande DPA annonçait que Doc Morris venait, mercredi 26 avril, de rouvrir sa « pharmacie » d’Hüffenhardt, en la limitant toutefois exclusivement aux OTC… en attendant les résultats d’une procédure judiciaire qu’il a lancée le même jour contre la fermeture.
S’ils rejettent toute interdiction des prescriptions par correspondance, « parce qu’elles existent dans la loi et que les interdire ne changerait rien », les parlementaires socio-démocrates plaident pour que les pharmaciens puissent eux aussi proposer des bonis pour contrer les pharmacies en ligne. Une proposition intenable, a répondu le responsable des questions financières de l’ABDA, Eckart Bauer, car elle amputerait considérablement le résultat net des pharmaciens, lequel s’est élevé l’an dernier à 142 622 euros, soit 6,5 % du chiffre d’affaires moyen. « Sachant qu’une pharmacie vend en moyenne 37 500 boîtes prescrites par an, nous perdrions donc autour de 30 000 euros net, rien qu’en consentant un rabais d’un euro sur 85 % de nos boîtes », explique-t-il.
C'est comme sauter d'un avion sans parachute
À l’issue des présentations, la première après-midi du congrès a été consacrée au traditionnel débat entre les représentants de la profession et les députés des principales formations politiques. Une parlementaire SPD, Sabine Dittmar, a assumé, avec courage il faut le dire, les positions de son parti face à la colère des pharmaciens. Pour le président de l’Ordre fédéral des pharmaciens, Andreas Kiefer, comme pour le président du syndicat fédéral, Fritz Becker, les rabais sur les prescriptions vont « détruire le système de distribution du médicament ». M. Kiefer, lui, s’insurge contre les députés qui disent que ces ventes seront sans conséquences : « c’est comme si vous sautez d’un avion sans parachute, dans les premiers instants, il n’y a pas de conséquence », a-t-il lancé aux parlementaires soutenant ces ventes.
Les quatre députés invités au congrès ont rappelé l’importance du rôle des pharmaciens de proximité pour l’accueil et la santé des populations, avant de se faire sèchement rabrouer par Andreas Kiefer : « Vous passez votre temps à saluer les mérites des pharmacies… une fois qu’elles ont disparu ! » Il est grand temps, selon lui, que le monde politique cesse de croire que les pharmacies vont bien, « alors qu’en fait elles ploient sous les charges et les contraintes. »
* Voir « le Quotidien » du 27 avril.
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