LE TEMPS où les banques accordaient facilement des crédits aux officines est bel et bien révolu. Pourtant, aujourd’hui, les taux de crédit sont tombés à un niveau historiquement bas : pour un financement d’installation sur douze ans, la moyenne est aujourd’hui à moins de 2 % hors assurance. « Récemment, mais pour un très bon dossier il est vrai, j’ai même obtenu un crédit à 1,40 % », explique Michel Watrelos, expert-comptable au cabinet Conseils et Auditeurs Associés, à Lille.
Alors, avec un loyer de l’argent aussi peu cher, pourquoi cette attitude pour le moins très frileuse des banquiers ? La première explication est bien sûr d’ordre économique : les ratios des officines sont globalement moins bons qu’il y a encore cinq ans, en raison surtout de la baisse générale de l’activité, d’une rentabilité souvent insuffisante dans les petites officines, ou d’une concurrence accrue entre les officines dans les centres urbains.
Parfois aussi, le refus de financement vient d’un prix de cession jugé trop élevé par la banque. « Il est vrai que lorsqu’une officine n’est pas à son juste prix, elle trouve difficilement un financement. Aucune banque ne peut financer l’acquisition d’une pharmacie si ses paramètres économiques et financiers ne sont pas convaincants », confirme Luc Fialletout, directeur général adjoint d’lnterfimo. Il n’est d’ailleurs pas rare, si le prix de vente est jugé trop élevé, que la banque exige une baisse de ce prix afin d’accorder son financement. Ce cas de figure est même assez fréquent.
Bref, le financement des pharmacies est devenu dorénavant un financement d’entreprise classique, avec des critères d’appréciation purement économiques, et non plus un financement patrimonial comme cela a pu l’être par le passé. C’est une évolution marquante de ces dernières années. « Pour les banques, financer une pharmacie est désormais un risque ordinaire et non plus un bon risque. Il ne s’agit pas d’une perte de confiance totale envers les pharmaciens, mais simplement de la dégradation du niveau de confiance entre banquiers et pharmaciens », confirme Philippe Becker, directeur du département Pharmacie de Fiducial.
Petites officines invendables ?
Conséquence de cette nouvelle situation : les experts-comptables spécialisés dans la profession constatent une baisse du nombre des financements, en nombre et en montant. Des compromis de vente sont signés, mais la vente est souvent annulée pour cause de refus de la banque.
Parmi les pharmaciens les plus touchés par ce phénomène, on trouve d’abord ceux qui souhaitent acheter une petite officine, réalisant autour d’un million d’euros de chiffre d’affaires. Ces officines trouvent très difficilement un acquéreur, car les banques ne suivent pas. « La préférence des établissements de crédit va généralement vers les officines de grande taille, au détriment des petites structures. Au-dessous d’un million d’euros de chiffre d’affaires, voire même au-dessous d’1,2 million, le financement est très difficile. Clairement, on prête plus facilement aujourd’hui pour une officine de deux millions d’euros que pour une toute petite pharmacie individuelle », souligne Dominique Leroy, expert-comptable au cabinet Exco Normeco, près de Rouen.
Pour ces officines, le manque de rentabilité est souvent mis en avant par le banquier : une officine dont la rentabilité est insuffisante présente un risque accru de ne pas pouvoir rembourser son prêt. Mais, bien sûr, il y peut y avoir des exceptions à cette règle, notamment si l’acquisition d’une petite officine précède une opération de transfert, par exemple.
Autre argument souvent opposé aux pharmaciens : un apport personnel trop faible. Il est vrai que pour obtenir un prêt à l’installation, il est impératif d’avoir un apport personnel suffisant. Or, en raison de la préférence des banquiers pour les officines de grande taille, le montant de cet apport, en valeur, doit être souvent très important. En pratique, il doit s’élever à 20 % environ du prix d’acquisition, soit 240 000 euros pour une officine moyenne faisant 1,5 million de chiffre d’affaires et vendue à 80 % de ce chiffre d’affaires. Une somme que beaucoup de pharmaciens ne peuvent pas réunir.
La question des cessions de parts.
Mais au-delà des critères économiques et financiers de rentabilité ou de prix de cession, un autre facteur compte aujourd’hui de plus en plus dans la raréfaction du crédit aux pharmaciens : le développement des cessions de parts de société, et particulièrement de société d’exercice libéral (SEL). En effet, lorsqu’un pharmacien acquiert des parts sociales, la banque ne peut prendre en garantie qu’un nantissement de ces parts, et non pas du fonds de commerce. Or, pour la banque, le nantissement des parts est une garantie beaucoup moins sûre et beaucoup plus imparfaite que le nantissement du fonds.
Cet inconvénient pour la banque est clairement un obstacle au financement des parts de SEL. « Le problème se pose moins aux banquiers lorsque les parts sont d’un montant peu élevé. Mais il se pose réellement pour des montants importants », affirme Michel Watrelos. Selon Dominique Leroy, il y a même des banques qui refusent de financer des parts sociales en raison de ce problème de garantie. « La problématique du financement de parts d’officine en SEL est nouvelle pour les banques et, même si les choses évoluent peu à peu depuis quelques mois, beaucoup d’entre elles refusent encore de s’engager sur ce terrain. »
D’autre part, s’ajoute aussi pour les banques, depuis quelques mois, un nouveau phénomène : l’émergence des sociétés de participation financière de professions libérales (SPFPL). On sait que ces holdings permettent d’acquérir, dans des conditions financières avantageuses, des officines exploitées en SEL. C’est alors la SPFPL qui emprunte pour acquérir les parts de la SEL, et non pas le pharmacien. Mais pour que la SPFPL puisse rembourser l’emprunt souscrit, elle doit percevoir suffisamment de revenus (de dividendes) de la SEL. Or la rentabilité de la SEL et la situation des associés permettront-elles, sur le long terme, de distribuer assez de dividendes ? Une question que doit se poser la banque au moment d’accorder son prêt, et à laquelle il est lui est difficile de répondre.
En pratique, ce nouveau mécanisme de rachat d’officine par une SPFPL n’est pas encore maîtrisé par les banques de réseau, qui rechignent pour l’instant à y apporter leur concours. « Pour les opérations de financement de parts de SEL ou de SPFPL, il faut des collaborateurs bien formés afin d’apporter une réponse de qualité au pharmacien, plaide Luc Fialletout. Ces opérations ne sont pas simples pour les banquiers généralistes. Elles peuvent même parfois les effrayer », ajoute le directeur général adjoint d’Interfimo.
Une nouvelle approche.
Une chose est sûre : avec l’augmentation du nombre d’acquisitions de parts de société, l’approche des banques quant au financement de ces opérations va devoir changer. Au lieu de financer des fonds de commerce, c’est-à-dire seulement des actifs, avec éventuellement un nantissement du fonds et une hypothèque sur les murs, les cessions de parts vont les obliger à financer un actif et un passif. Or, quand un pharmacien reprend une société avec du passif (c’est-à-dire des engagements), la banque doit se soucier du rythme auquel celui-ci sera remboursé. De plus, selon la quotité de parts financée, elle doit prendre en compte l’étendue du pouvoir du pharmacien qui entre dans la société : pour une banque, il est très différent de financer 51,1 % du capital ou d’en financer seulement 49,9 %…
Dans ce domaine, les banques généralistes devront donc s’approprier un savoir-faire qu’elles n’ont pas encore aujourd’hui, et qui explique pour partie les refus de financement. « Sur le marché des cessions d’officines, les banques doivent avoir une approche personnalisée. Elles ne peuvent plus raisonner avec des éléments statistiques, mais elles doivent prendre en compte toute une série de critères comme la qualité du pharmacien, la qualité de l’officine, et les équilibres du plan de financement, notamment », conclue Luc Fialletout.
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