« En 2010, nous avons choisi de nous regrouper pour sécuriser l’avenir d’une officine, plutôt que de souffrir chacun de notre côté », explique Cécile Tixier, pharmacienne à La Coquille (Dordogne). En effet, depuis six ans, les deux pharmacies de cette commune de 1 400 habitants n’en font plus qu’une.
À Brantôme (2 200 habitants), les deux pharmacies se sont unies en juin 2014 : « Deux officines n’étaient pas viables, nous avons choisi le regroupement pour rationaliser les coûts et les charges externes », indique Norbert Barroso, l’un des trois titulaires de la nouvelle pharmacie.
À Excideuil (1 100 habitants) la pharmacie Dufraisse a repris le personnel de son concurrent parti à la retraite : « le regroupement était un projet de longue date, mais notre volonté a été renforcée par la dégradation des conditions économiques », explique Arnaud Dufraisse, 32 ans.
De nombreuses pharmacies du Nord-Dordogne ont fait le même choix, pour survivre (un tiers des officines du département serait en difficulté) ou s’adapter aux rigueurs de l’exercice en zone rurale, avec une population âgée et isolée, confrontée à la désertification médicale. « Il y a 8 ans, nous avions cinq médecins, maintenant ils ne sont plus que deux, indique Arnaud Dufraisse. Cela engendre des renoncements aux soins ou au suivi par un spécialiste, et déplace les achats de médicaments vers les seules officines proches des cabinets médicaux. »
Une évidence économique et sociale
Même parcours pour son collègue de promotion, Frédéric Lociciro. À peine installé à Nontron (3 300 habitants) en 2015, il propose un regroupement à Annette Donadieu, titulaire de l’autre officine du bourg. « C’était pour moi une évidence économique et sociale », indique-t-elle. Les deux futurs associés ouvriront l’an prochain leur officine commune.
Impulsés par des pharmaciens trentenaires, habitués au travail en équipe, ces regroupements donnent naissance à de nouvelles officines de 3 à 400 m² (avec facilités de parking) animées par des équipes de 10 à 12 personnes proposant de nouveaux services en phase avec la population : « Nous avons développé les livraisons, indique Arnaud Dufraisse. Avec une équipe de 10 personnes, c’est plus facile de dégager un poste pour cette activité. Nous livrons gratuitement, jusqu’à 10 km, 1 à 2 fois par jour. C’est une nécessité pour nos patients âgés isolés. »
Nouveaux services
« Nous allons proposer un showroom de matériel médical, développer l’aromathérapie, les livraisons, la PDA et des outils informatiques permettant l’échange sécurisé des ordonnances avec les médecins », explique Frédéric Lociciro. « Passer de 5 à 12 salariés, nous a permis de responsabiliser le personnel, adapter l’activité de chacun à ses goûts et ses capacités, pour former une équipe multicompétente, explique Norbert Barroso. Nous avons aussi élargi notre offre et nos horaires, baissé nos prix grâce à de meilleures conditions d’achat, renforcé nos capacités de parking, créé une surface dédiée pour le matériel médical et l’orthopédie, et une autre pour répondre aux nouvelles missions : éducation thérapeutique, dépistages, prévention… »
En pratique, le regroupement nécessite patience administrative (délais d’instruction du dossier) et financière, car la première année est souvent difficile : stocks à écouler, habitudes à modifier, équipes et plannings à harmoniser… Mais le résultat en vaut la chandelle : « Six ans après, je le referais sans hésiter, indique Cécile Tixier. Malgré une petite érosion de CA, nous sommes gagnants sur tous les tableaux : réduction des frais et des coûts, meilleur service aux patients et qualité de vie. »
Il y a urgence !
« Le pari était audacieux, mais indispensable, complète Norbert Barroso. Toutefois, si la désertification médicale se poursuit, le regroupement n’aura servi à rien. Ici, je travaille avec trois généralistes qui ont respectivement 71, 60 et 53 ans. Le premier continue par passion et dévouement, le second partira à la retraite dans deux ans. À ce moment-là, le cadet explosera en vol. Il y a urgence ! Toutes les incitations ont échoué car elles ne sont pas adaptées. Aujourd’hui les jeunes médecins veulent travailler 39 heures, être libre à 19 heures, ne pas crouler sous les tâches administratives, faire peu de gardes et habiter une préfecture. Ils ne conçoivent plus le métier comme un sacerdoce. La seule solution, c’est le salariat* ! »
Norbert Barroso milite auprès de sa communauté de communes pour l’embauche d’un médecin généraliste qui pourrait être mutualisé, entre les trois bourgs du canton qui disposent encore d’une pharmacie. Pour hâter la chose, il a cédé à la communauté de communes un local attenant à sa nouvelle pharmacie, pour en faire un cabinet médical.
« C’est le seul moyen de maintenir l’égalité d’accès aux soins pour tous, poursuit-il. Le médecin y trouvera son compte, à une heure des pistes de ski et des plages, sans garde… Et lui assurer 6 000 euros/mois ne nécessitera guère plus de 3 mois d’investissement de départ pour la collectivité. »
Salariat ou maison de santé
Pour son confrère Arnaud Dufraisse, la solution passe par son projet de création d’une maison de santé pluridisciplinaire : « Pour attirer les médecins, je crois qu’il faut combiner les aides avec un vrai projet de santé. Il faut aussi lutter contre les représentations mentales fausses du médecin de campagne. Ici, nos médecins font une garde toutes les 6 semaines, peuvent habiter en ville (Périgueux est à 30 minutes) et même imposer leurs horaires, si ça leur chante ; au début les patients vont râler, mais ensuite ils seront contents d’avoir un médecin. De plus, l’exercice pluridisciplinaire évite l’isolement et répond aux besoins de nos patients vieillissants et polymédiqués. À terme, une maison de santé pourra accueillir des consultations de spécialistes, voire de télémédecine. À 32 ans, j’ai du mal à concevoir d’exercer autrement que main dans la main avec d’autres professionnels. »
On le voit, dans le combat contre la désertification médicale, le pharmacien est moteur. Parfois loin devant les politiques. « Nous nous sommes regroupés par nécessité économique, maintenant nous construisons pour les médecins, indique Frédéric Lociciro, lui aussi engagé dans un projet de maison de santé. C’est la seule solution si nous ne voulons pas nous retrouver un jour sous la coupe de grossistes ou de mutuelles. »
C’est une nouvelle forme d’officine qui émerge en zone rurale, centrée sur ses missions de santé publique et le partenariat avec les autres professionnels de santé. « Je suis persuadé que la voie purement commerciale n’est pas l’avenir de la pharmacie », conclut Arnaud Dufraisse.
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