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Répartiteurs : pas de réforme au détriment des pharmaciens

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Publié le 04/11/2019
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Les grossistes-répartiteurs ont reçu le 25 octobre un projet d'arrêté de marge. Dans un entretien avec « le Quotidien » Hubert Olivier, P-DG d'OCP, expose les motifs de sa déception. Selon lui, le gouvernement ne prend que partiellement en compte l'ampleur des difficultés économiques rencontrées par la profession. Car la solution, rappelle-t-il, est à la fois d'ordre fiscal et structurel. Le P-DG d'OCP maintient sa volonté d'une réforme en profondeur de la rémunération des grossistes-répartiteurs, largement inspirée de celle qu'ont connue les pharmaciens avec l'introduction des honoraires.
Hubert Olivier

Hubert Olivier
Crédit photo : DR

Le Quotidien du pharmacien.- Il y a un an déjà, les grossistes-répartiteurs tiraient la sonnette d’alarme. Depuis, leur situation, dont la dégradation a successivement été attestée par l’Autorité de la concurrence et la Cour des comptes, s’est encore détériorée (voir encadré). Avez-vous le sentiment d’avoir été enfin entendus par la ministre ?

Hubert Olivier.- C’est malheureusement exact. La distribution du médicament remboursé s’effectue aujourd’hui à perte. Nous traversons une crise sans précédent. Je crois que nous avons en partie été entendus par le gouvernement et je salue la considération et la confiance que la ministre de la Santé nous accorde en reconnaissant le rôle indispensable qui est le nôtre dans la chaîne du médicament, même s’il a fallu des années d’efforts et de pédagogie.

Dans ce contexte, le projet d’arrêté de marge, qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2020 et qui a été soumis récemment à la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) est-il à la hauteur de vos attentes ?

Les choses s’accélèrent depuis les propos de la ministre jeudi 24 octobre à l’Assemblée nationale puisque nous avons en effet reçu un projet de nouvel arrêté de marge. Je suis extrêmement préoccupé car la marge qui nous est, à ce stade, proposée nous mettrait dans une situation pire que celle que nous connaissons actuellement. Deux raisons nous amènent à le penser. D’une part, le niveau d’impact de la marge proposée serait bien inférieur à ce qu’il convient de faire et il ne fournirait pas de réponse structurelle à nos difficultés.

D’autre part, nous constatons que le financement de cette marge s’effectuerait au détriment des autres acteurs de la chaîne du médicament, notamment des pharmaciens d’officine. En tant que président d’OCP, et leader du marché, une telle option ne me semble pas envisageable. D’autant plus que, dès le début de la concertation, c’était l’une des conditions de base que nous avons posée. Le gouvernement semble vouloir s’en écarter en proposant une solution qui s’apparente à un tour de passe-passe.

Lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 vous avez cependant reçu le soutien de nombreux députés qui ont prôné une réduction significative de la taxation sur le chiffre d’affaires des distributeurs en gros, la fameuse taxe Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale).

Oui, je tiens à remercier les parlementaires de tous bords d’avoir alerté courageusement à plusieurs reprises la ministre sur l’absence de décision. Aujourd’hui le volume de la taxe Acoss dont s’acquittent les répartiteurs représente 80 % de notre EBE. Quel secteur d’activité peut supporter un tel poids ? Aucun secteur industriel ne peut survivre à une telle pression fiscale. À titre d’exemple, les taxes acquittées par les industries du médicament représentent environ 20 % de leur EBE. C’est une taxation confiscatoire ni plus, ni moins.

Nous sommes typiquement dans ce que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, appelle un impôt de production. Son assiette est le chiffre d’affaires, il ne prend pas en compte l’effondrement de la rentabilité des répartiteurs tel qu’il est intervenu depuis 5 ans. Ce niveau de taxation sur la production est tout à fait disproportionné et constitue une charge qui n’est plus supportable ! Je regrette que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, se limite à agir uniquement sur une seule de nos difficultés.

Pour sauver durablement la répartition pharmaceutique, il faut élargir le champ d’intervention politique à la réduction de nos charges et réduire la fiscalité de la répartition qui est tellement élevée qu’elle est devenue confiscatoire. Commencer par baisser le taux de l’Acoss est une première réponse face à l’urgence du secteur, même si cela ne suffira pas. Il n’y a donc pas à choisir entre la fiscalité et un nouveau modèle de marge : les deux doivent être mis en œuvre dans le cadre d’une réforme pérenne.

Effectivement depuis 2017 et le premier effondrement de leur rentabilité, les grossistes-répartiteurs revendiquent une réforme structurelle de leur rémunération décorrélée du prix du médicament et composée d’une part forfaitaire. Maintenez-vous ce modèle ?

Oui, tout à fait. Nous avons beaucoup travaillé sur la question pour sortir de l’impasse. Je rappelle qu’il est du devoir de l’État, stipulé dans le Code de la santé publique, de garantir aux grossistes-répartiteurs un niveau de ressources qui leur permette d’assurer leurs obligations de service public.

Pour notre part, nous avons proposé un plan triennal, articulé autour d’un forfait et d’une marge, capable d’intégrer l’évolution du marché du médicament et surtout de désensibiliser notre rémunération du prix du médicament. À l’instar de la réforme de la rémunération qu’ont connue les pharmaciens, à la seule exception près que, pour les répartiteurs, l’honoraire du pharmacien est remplacé par le forfait.

Ce plan triennal de plusieurs centaines de millions d’euros est en mesure de garantir notre capacité à investir et à sécuriser l’approvisionnement en continu. Car ce qui est en jeu aujourd’hui c’est notre capacité à poursuivre l’approvisionnement des pharmacies les plus éloignées.

N’est-ce pas paradoxal de la part du gouvernement de continuer à nier les difficultés du secteur de la répartition à l’heure où les ruptures d’approvisionnement occupent les devants de la scène ?

Le message positif est que le gouvernement se préoccupe de notre secteur et nous écoute. Malheureusement, malgré nos alertes, le signe positif que souhaite nous adresser le gouvernement ne prend pas suffisamment en compte ni ces paramètres ni ces prérequis. Aussi, il est essentiel de suspendre cet arrêté de marge, de poursuivre les discussions, de convenir d’échéances, et de définir collectivement un nouveau modèle de rémunération et de service de notre secteur, sans opposer les acteurs les uns contre les autres.

L’arrêté de marge aurait dû entrer en vigueur au 1er janvier 2020. Dans ces conditions, le calendrier ne sera pas respecté. Que préconisez-vous, alors que le temps joue contre vous ?

Je salue la décision de la ministre de mettre en place un processus tripartite qui réunit, outre les entreprises de la répartition pharmaceutique, les services du ministère de l’Économie et des Finances et ceux du ministère de la Santé. C’est un processus tout à fait inédit. En espérant que nous parviendrons à faire émerger une solution acceptable d’ici aux élections municipales de mars prochain. Plutôt que de se fourvoyer dans une situation intenable, il est préférable de reposer les enjeux de l’équation et mettre tous les acteurs autour d’une table pour faire émerger une solution acceptable et adaptée à l’ampleur des difficultés que nous surmontons. La survie de notre service public dans les territoires en dépend.

Les répartiteurs sont très attendus dans la résolution des ruptures d’approvisionnement. Est-ce à dire que les répartiteurs disposent d’une monnaie d’échange face à la ministre de la Santé ?

Nous sommes engagés dans une démarche de coconstruction, guidés par une seule logique, celle de l’intérêt du patient. L’ensemble des acteurs du médicament, les syndicats de pharmaciens, comme les industriels du médicament, ont d’ailleurs saisi l’ampleur de nos difficultés et s’en inquiètent.

J’entends parfaitement que le gouvernement veuille que le secteur fasse des propositions pour contribuer davantage à la lutte contre les ruptures. La CSRP* a présenté des propositions au cours d’une audition par le Sénat, en juillet 2018, et elle a été consultée par le gouvernement avant l’été. Nous avons proposé que les grossistes-répartiteurs interviennent rapidement et efficacement par le biais d’établissements pivots. Une solution qui permettrait de réduire le temps de remise à disposition d’une spécialité, en lien bien entendu avec l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). L’OCP sera un contributeur actif, je pense à notre volonté de participer à plusieurs des 7 groupes de travail qui permettront à Agnès Buzyn d’établir sa feuille de route.

Dans une récente tribune dans « Les Échos », Laurent Bendavid, PDG d’Alliance Healthcare, a proposé un « New Deal » pour le secteur de la répartition, et a notamment suggéré une diversification des activités. Est-ce également votre position ?

Ce sujet de la diversification n’est pas nouveau. Il faut cependant faire attention à ne pas inverser les priorités. Je conçois la diversification comme un enrichissement de nos services aux pharmaciens. Notre raison d’être est bien d’approvisionner les pharmacies pour faciliter l’accès aux soins des patients. C’est-à-dire de jouer pleinement notre rôle de service public. Dans la PDA par exemple, on pourrait discuter avec les pharmaciens de la façon dont la répartition pourrait les aider à développer cette pratique tout en s’assurant qu’ils restent maîtres de la dispensation au patient.

* Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique.

Propos recueillis par Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3554