Le Quotidien du pharmacien. - Quelle est la vocation du Ségur du numérique au regard de la profession de pharmacien ?
Jean-Jacques Zambrowski. - En très peu d’années, le pharmacien est passé, aussi bien dans l’esprit des pouvoirs publics que dans celui du grand public, du statut de commerçant hyperspécialisé à celui de professionnel de santé chargé en particulier de la dispensation des médicaments, mais pas seulement. Son engagement sans faille dans la vaccination contre le Covid-19 en est un exemple. Les dernières réticences se sont effondrées avec la lutte collective contre le Covid en révélant un professionnel de santé de proximité, de premier recours, au contact direct et facile. L’un des signes forts de ce changement c’est que les actes du pharmacien sont désormais plus rémunérateurs que la marge commerciale sur les produits ; c’est la première fois dans l’histoire de la pharmacie. Par ailleurs, les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité d’utiliser les outils numériques pour fluidifier la circulation de l’information entre professionnels autour du parcours du patient. Le rôle du pharmacien et du médecin de ville doit être coordonné avec le rôle du médecin de l’hôpital, du médecin spécialiste, des professionnels du médico-social, etc. Le parcours de santé doit être fluidifié, géré, optimisé, suivi ; c’est l’une des vocations évidentes du Ségur du numérique.
Quelle forme concrète cela va-t-il prendre ?
Il faut partir du rôle du pharmacien aujourd’hui et anticiper ce qu’il sera à l’avenir. Il doit pleinement s’intégrer dans l’offre globale de santé, pouvoir communiquer avec les autres systèmes informatiques qui se mettent en place. L’intégration des outils informatiques va permettre au pharmacien de remplir les missions qui lui sont dévolues (entretiens pharmaceutiques et bilans partagés de médication par exemple). Il n’est pas attendu uniquement sur le médicament, mais aussi sur le conseil diététique, le conseil d’activité physique, etc. Il n’est plus seulement le spécialiste du pharmakon, des drogues, il est le spécialiste du patient ambulatoire. Les Français ont désormais accès à leur espace numérique en santé et ils comptent sur le pharmacien pour les aider à le décrypter, à savoir y chercher une information. Le pharmacien est le plus à même de remplir cette mission de par l’organisation de l’officine.
À la différence d’autres professions, les pharmaciens travaillent de longue date avec les outils informatiques. Est-ce un avantage dans le développement du numérique en santé ?
C’est un avantage, les pharmaciens ont l’habitude de l’outil informatique, il n’y en a pas un seul qui ne télétransmette pas à l’assurance-maladie. Un pharmacien du Gard peut recevoir un assuré social domicilié dans les Hauts-de-France et accéder à ses droits sans problème. De plus, le logiciel métier va déjà bien au-delà de la facturation et peut suggérer des conseils associés. Les éditeurs peuvent ajouter de nouvelles fonctions, les pharmaciens ont les aptitudes pour les intégrer. Ils sont même demandeurs. En 2022, la digitalisation est l’un des outils privilégiés de la transformation du rôle du pharmacien dans la cité, dans le parcours de soins et le suivi du patient. Et cela n’a rien d’étonnant, alors qu’il va être plus difficile pour le médecin hospitalier – que je suis, je peux donc me permettre de le dire – d’entrer dans une relation directe avec le médecin de ville par exemple. Le pharmacien a d’autant plus sa place dans l’échange d’informations entre professionnels qu’aucun autre que lui ne connaît aussi bien ses patients.
Certains accueillent l’espace numérique en santé avec enthousiasme quand d’autres y voient un dossier médical partagé (DMP) amélioré qui aura du mal à se déployer. Quelle est votre vision ?
Tout dépend de l’utilisation qui en sera faite par les professionnels d’abord, et ensuite par les Français. Je lui souhaite un meilleur accueil que celui qui a été réservé au DMP. Je veux être confiant car nous devons bénéficier d’un système que la technologie permet et que les citoyens demandent. Ces 10 ou 15 dernières années ont connu une accélération de la pénétration des outils télématiques, tout le monde en a un dans sa poche en permanence, qui permet non seulement de téléphoner, mais aussi d’accéder à Internet. À l’heure où l’on installe la 4G, voire la 5G, et qu’on vit dans des appartements fibrés, je ne peux imaginer que « Mon espace santé » ne soit pas accepté alors même que les Français ont une appétence forte pour les sujets de santé, recherchent une alimentation saine et veulent une chaleur décarbonée.