Honneur au prix Goncourt et aux jeunes talents. Mohamed Mbougar Sarr, récompensé pour « la Plus Secrète Mémoire des hommes » dès le premier tour de vote, n’a que 31 ans. Il est le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à recevoir le prix. Après des études en classes préparatoires littéraires au Sénégal, il a poursuivi en France son cursus à l’École des Hautes Études en Sciences sociales tout en confirmant son goût pour la littérature et la philosophie. Co-édité, après trois ouvrages publiés chez Présence Africaine, par Philippe Rey (une petite maison indépendante, qui depuis vingt ans accorde une place importante à la découverte de nouvelles voix et à la francophonie) et la maison sénégalaise Jimsaan, « la Plus Secrète Mémoire des hommes » figurait sur presque toutes les listes de prix.
Le roman raconte la quête d’un jeune écrivain sénégalais, sur les traces d’un ouvrage publié en 1938 et de son créateur, porté aux nues par le Paris d’avant-guerre et qualifié de « Rimbaud nègre », jusqu’à ce que des accusations de plagiat aboutissent à la destruction du livre et à la disparition de l’auteur. Récit de fiction inspiré en partie par l’histoire du Malien Yambo Ouologuem (prix Renaudot en 1968 pour « le Devoir de violence », avant d’être dénoncé en 1971), le roman de Mohamed Mbougar Sarr est une œuvre protéiforme, faite d’une succession de récits enchâssés qui nous entraînent d’un pays et d’un continent à l’autre, des années 1930 à l’époque actuelle en passant par les deux guerres mondiales, dans une narration qui mêle les genres littéraires et des personnages divers. Avec toujours en ligne de mire la figure obsédante de cet auteur qui se dérobe et à travers lui la question de l’essence de la littérature.
Joueur de hockey professionnel pendant dix ans puis tenté par le droit avant de se consacrer à l’écriture et de publier trois ouvrages (dont « Un certain M. Piekielny », sélectionné pour les prix Goncourt et Renaudot en 2017), François-Henri Désérable a reçu, à 34 ans, le Grand prix du Roman de l’Académie française pour « Mon maître et mon vainqueur » (Gallimard). L’histoire, inspirée des relations entre Verlaine et Rimbaud, raconte la passion amoureuse et illégitime qu’entretiennent Tina et Vasco ; le narrateur, ami de ce dernier, est convoqué chez le juge d’instruction pour témoigner devant deux pièces à conviction, un carnet et un pistolet. Commence alors un jeu de pistes tissé de flash-back et de digressions, qui tient en haleine et nous égare autant vers la tragédie que vers le burlesque.
Après des manuscrits refusés par les éditeurs pendant six ans, trois décennies d’écriture et vingt livres publiés, un prix France Culture en 2005 (« les Désaxés »), un prix de Flore en 2006 (« Rendez-vous ») et le prix Décembre en 2015 (« Un amour impossible »), Christine Angot, 62 ans, a enfin reçu un « grand prix », le Médicis, pour « le Voyage dans l’Est », paru chez Flammarion. Figure controversée de la scène littéraire depuis la parution de « l’Inceste », en 1999, elle revient sur son passé, son adolescence à Reims, la rencontre avec son père à l’âge de 13 ans et les gestes, l’inceste pendant des années, les mots qui l’ont à jamais marquée, le silence de son entourage, l’inguérissable blessure. Autant de maux qu’elle a déjà écrits mais qui prennent dans ce roman une autre ampleur.
À 55 ans, Amélie Nothomb est couronnée du prix Renaudot pour son trentième roman publié (et centième manuscrit rédigé), « Premier sang » (Albin Michel). Appréciée d’un large public qui a fait de presque tous ses livres des best-sellers, la dame au chapeau n’avait été jusqu’à présent reconnue que par l’Académie française (« Stupeur et tremblements » en 1999), par le prix de Flore (« Ni d’Eve, ni d’Adam » en 2007) et par le Grand Prix Jean Giono (pour l’ensemble de son œuvre en 2008). Dans ce dernier livre, la romancière belge rend un bel et fort hommage à son père et à sa bravoure, le diplomate Patrick Nothomb, décédé en 2020.
Alors que les romans de Clara Dupont-Monod ont souvent été sélectionnés dans les listes des grands prix de l’automne sans être consacrés (« la Passion selon Juette », « la Révolte »), son neuvième récit, « S’adapter » (Stock), a séduit les dames du Femina. L’éditrice et journaliste de 48 ans entraîne ses lecteurs dans une vieille demeure au cœur des Cévennes, où naît un enfant qui « pourrait pleurer ou exprimer son bien-être, mais pas plus ». Les pierres de la maison racontent comment l’aîné de la famille s’est pris d’une affection et d’une attention sans limite pour l’enfant, tandis que la cadette est pleine de colère de voir l’harmonie familiale brisée, de dégoût et de culpabilité.