Quai Blavet, à Saint-Valéry-sur-Somme. L’allée piétonne en front de baie, bordée de tilleuls et de villas chics du début du XXe siècle, affiche un standing digne du « parisianisme » de naguère, lorsque les notables se pressaient en villégiature. Anatole France, en 1886, écrivit ici « Pierre Nozière ». « De la chambre où j’écris, on découvre toute la baie de Somme (…) Un vent salé fait voltiger les papiers sur ma table et m’apporte une âcre odeur de marée. » Depuis, rien ou presque, n’a changé. Le vent du nord apporte toujours une saine odeur de moutons des prés-salés et l’écho d’un tir de chasseur embusqué. Le ballet des oiseaux en est à peine perturbé. Sternes et canards glissent au-dessus de l’eau, petits points mobiles dans l’immensité figée de l’estuaire au jusant.
Tout cela se voit aussi depuis la ville haute, écrin médiéval borné par les portes de Nevers et Guillaume, parties des remparts érigés dès le XIe. Une adorable vieille ville de briques, de pierres et de colombages, ramassée autour des murs en damiers de l’église Saint-Nicolas. Les maisons d’hôtes et les gîtes de charme entretiennent l’idée d’un tourisme convenable, même si l’atmosphère est à la simplicité.
La preuve avec l’ancien quartier des pêcheurs, Courtgain. Saint-Valéry-sur-Somme fut un port actif. Jadis, les bateaux débarquaient leurs cargaisons sur les quais. Les marins vivaient dans ce quartier villageois aux maisons mitoyennes basses et modestes, égayées de splendides géraniums (rues des Pilotes, des Marins, Roche Madone…). En raison de l’ensablement de la baie, les bateaux de pêche ne peuvent remonter à Saint-Valéry que lors des très fortes marées. Ils jettent l’ancre au port avancé du Hourdel, à la pointe sud de l’avant-baie. Là où a élu domicile une colonie de veaux marins qui fait la joie des visiteurs.
En train à vapeur
Quinze kilomètres séparent Saint-Valéry-sur-Somme du Crotoy, village plus populaire. Une distance suffisante, en voiture ou en train à vapeur – il sillonne la baie d’avril à mi-novembre, belle escapade à remonter le temps –, pour observer le paysage. La mer y rejoint souvent le ciel, dans un fondu gris noir tacheté d’herbes recouvertes à marée haute. On nomme ces prairies le schorre, en opposition à la slikke et ses chenaux vaso-sableux, dangereux à mer montante. Les moutons, eux, paissent sur les mollières, des terres immergées seulement aux fortes marées. Le milieu grouille de vie… et d’humains. Chasseurs, pêcheurs de crevettes, ramasseurs de coques, cueilleurs d’aster et de salicorne, mytiliculteurs (à Quend-Plage, plus au nord), naturalistes, promeneurs…, tous ont de bonnes raisons d’être là.
La commune du Crotoy vante depuis longtemps sa grande plage de sable, bordée de cabines blanches. Dans les rues, la mixité des maisons résidentielles et populaires autour de l’église à clocher fortifié confirme le mélange des genres entre tourisme et tradition. On aime surtout le charme de la rue de la Brèche, très villageoise avec ses maisons basses et ses roses trémières.
Si les bateaux se font rares au Crotoy, ex-village de pêche, les touristes sont au rendez-vous. La cité attire notamment les visiteurs grâce au souvenir de deux illustres hôtes : Jules Verne, résident du village de 1865 à 1870 (son ancienne maison se trouve rue… Jules Verne) et Jeanne d’Arc. Le romancier vint d’abord ici en villégiature, avant de s’installer en famille. Il y écrivit « Vingt Mille Lieues sous les mers ». La Pucelle, elle, fut gardée prisonnière au château du Crotoy (vestiges), en 1430. Livrée aux Anglais le 8 décembre, c’est d’ici, qu’entourée de ses gardes, elle traversa la baie à pied pour être emmenée à Rouen.
Le royaume des oiseaux
Les touristes se pressent aussi au Crotoy pour le célèbre parc du Marquenterre. Sauf à bien connaître la baie et ses pièges, c’est le meilleur endroit pour observer la faune. Deux cents hectares de dunes, de forêts, de marais et de roselières, au cœur de la Réserve naturelle de la baie de Somme, promettent de découvrir au fil des saisons espèces animales et végétales. Mai, juin et juillet sont des mois de nidification. D’août à novembre vient le temps du chassé-croisé entre nicheurs tardifs et premiers migrateurs. Au gré des trois parcours tracés dans le parc, émaillés de postes d’observation, place à la découverte des canards, foulques, pipits, goélands, hérons, spatules, buses, cormorans, grèbes… Une bouffée de nature bienvenue après le confinement…