Parfois la littérature rencontre l’actualité. « Neige et Corbeaux » (1) raconte la peste qui a dévasté la Mandchourie en 1910 et atteint la ville de Harbin, dans la région la plus septentrionale de la Chine, tuant 6 habitants sur 10. Chi Zijian (« le Dernier Quartier de lune », grand prix Mao Dun) vit dans cette capitale de la province du Heilongjian – qui a été à nouveau isolée il y a deux semaines après l’apparition de foyers de contamination, vraisemblablement liés à des cas « importés » de Covid-19.
Créée grâce à l’arrivée du chemin de fer, Harbin était en 1910 une ville en pleine effervescence, où se côtoyaient Russes, Japonais et Chinois. Elle est un personnage essentiel du roman, fresque sociétale bruissant des multiples histoires de ses habitants. Sur fond de peur, de maladie et de mort, l’auteure parvient à nous intéresser aux aspirations de chaque personnage et aux pied-de-nez du destin. En dépit des amoncellements de cadavres, l’humour n’est pas absent.
Publié en Chine il y a dix ans, « Neige et Corbeaux » place les habitants de Harbin en face d’une forme de peste qu’ils ne connaissent pas, qu’ils attribuent à la consommation d’un animal sauvage, la marmotte. Un jeune médecin chinois, formé à Cambridge, mène, seul contre toutes les autorités sanitaires et administratives, un long combat pour expliquer que l’épidémie se propage par la voie « aérienne » et qu’il devient nécessaire d’éviter tout contact d’homme à homme et de porter un masque… Un récit à la fois documenté et truculent.
Grand reporter au « Point » et coureur amateur, Marc Nexon a voulu réussir là où beaucoup ont échoué : mettre à jour quelques réalités sur la Corée du Nord. À sa grande surprise, il a réussi à franchir la première étape, se faire inscrire pour le marathon de Pyongyang, en 2018. Son court récit, intitulé « la Traversée de Pyongyang » (2), pourrait aussi bien s’appeler « la traversée du désert », puisque tout ce qu’on lui a permis de voir est une ville fantôme, où les rues sont désertes et les immeubles semblent vides, dans l’étau d’« un silence de laboratoire ». Toujours escorté par des guides qui veillent à ce qu’il ne fasse aucun faux pas, en particulier en ce qui concerne le culte de la personnalité du dirigeant suprême, il est allé au bout de sa course dans une sorte de traversée métaphysique où la peur côtoie la paranoïa.
Après avoir évoqué le rapprochement des cultures à travers la musique (« les Portraits sonores du docteur Léon Azoulay »), Jérôme Hallier, qui a habité plusieurs années à Kyoto, raconte, dans « Briller pour les vivants » (3), l’étonnante trajectoire du lieutenant-colonel Takeichi Nishi, dit le baron Nishi, le seul cavalier japonais médaille d’or de l’histoire olympique. C’était en 1932, à Los Angeles, avec Uranus. Au-delà de l’exploit sportif, on suit le parcours chaotique d’un enfant illégitime, mais élevé par son père pour devenir lui aussi diplomate. Placé dans une école militaire sévère, il n’apprendra la discipline que le jour où il montera à cheval. Cela ne l’empêche pas, durant sa longue tournée en Europe et aux États-Unis pour trouver « le » cheval qui le conduira au sommet, de s’adonner à tous les excès, notamment en compagnie de stars d’Hollywood. Le baron Nishi mourra en 1945 dans le Pacifique, lors de la bataille d’Iwo Jima, et Uranus une semaine plus tard, à 25 ans. Un récit augmenté d’événements et de personnages fictifs, qui agrémentent la lecture.
Polyphonique
Dans son premier roman « Midwinter », la Sud-Africaine Fiona Melrose alternait le Suffolk et la Zambie, le passé et le présent. Dans « Johannesburg » (4), l’unité de lieu et de temps sont plus affirmés, puisque tout se déroule dans la ville, qui devient un personnage à part entière au lendemain de la mort de Nelson Mandela, le 5 décembre 2013. Mais le livre polyphonique met en scène une douzaine de personnes. La mégapole et ses habitants sont tous marqués par la disparition de Madiba, mais chacun, Noir ou Blanc, riche ou pauvre, autochtone ou émigré, vit et ressent cette journée différemment. Un instantané multiple qui, dans sa construction, est un hommage au « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf.
Réalisateur et auteur de romans noirs (« la Dame de pierre »), lauréat du prix du Roman historique en 2018 pour « le Tombeau d’Apollinaire », Xavier-Marie Bonnot conforte son talent de conteur avec « Nefertari Dream » (5), un roman sur l’Égypte, l’ancienne et la contemporaine, qui mêle archéologie et révolution, amours et religions. Un archéologue français qui rêve de découvrir le tombeau de Henoutmirê, fille et femme de Ramsès II, rencontre la jeune Noah, née à deux pas de la tombe de la reine Nefertari et qui veut mettre en lumière le rôle méconnu des simples artisans. Leur passion commune les rapproche, mais alors qu’il restait cantonné dans le passé, elle l’amène à voir l’Égypte sous l’angle du peuple, écrasé par la misère et les injustices et qui va se révolter. On est dans la mouvance du Printemps arabe et l’amie d’enfance de la jeune femme est une militante islamiste.
(1) Picquier, 366 p., 21,50 € (2) Grasset, 160 p., 17 € (3) Flammarion, 259 p., 18 € (4) Quai Voltaire, 305 p., 23 € (5) Belfond, 349 p., 19 €