Un parfum entêtant de tilleul. C’est le souvenir qui vient à l’esprit lorsqu’on se rappelle cette virée juilletiste dans les Baronnies provençales, territoire de grand air posé au coin de la Drôme et des Hautes-Alpes. Une sorte d’angle mort du tourisme provençal, même si Nyons et Buis-les-Baronnies ont leur petite notoriété et que le « pays » est valorisé par un Parc naturel régional. Le tilleul, donc, meilleur dénominateur commun de cette région isolée, qui diffuse au début de l’été une fragrance si agréable. Sa récolte est l’un des temps forts de la saison. Dans tous les villages, on « tape les arbres à cœur » pour couper les plumeaux (petites branches) et les débarrasser de leurs bractées (fleurs), jetées dans des bourras (grandes toiles étendues au sol).
Depuis Buis-les-Baronnies, les petites routes livrent la belle mosaïque agricole des champs de tilleuls, d’oliviers, de cerisiers et de lavande. Voici le col d’Ey, dominant la vallée de l’Ennuye. Au creux du vallon, le village de Saint-Jalle présente sa belle église romane et le charme des campagnes d’autrefois. À Curnier, nous pénétrons dans la
vallée de l’Eygues. Elle forme des gorges entre Sahune et Saint-May que nous quittons pour grimper dans le microvillage (100 habitants) de Villeperdrix, perclus de calades et de vieilles pierres. Nous y saluons deux paysans herboristes. Adrien Donzet et Florent Labussière, jeunes néoruraux – nombreux dans les Baronnies –, ont créé une ferme bio avec oliveraie, plantes médicinales et maraîchage. Ils gèrent aussi un gîte pour randonneurs, motards, cavaliers et cyclistes, assurant les repas dans une ancienne bergerie voûtée.
La campagne des Baronnies est plus que jamais inspirante. Ainsi la D159 qui grimpe sur 14 km depuis Buis-les-Baronnies jusqu’au village cul-de-sac de Poët-en-Percip. Tout en haut de la vallée du Menon, la nature gagne encore en intensité. Les tilleuls croulent sous les bractées, la lavande s’arrondit d’aise, l’herbe des prés est d’un vert intense, les genêts explosent de senteur… Nous filons vers une autre vallée : l’Oule. Dans cette combe survolée par les vautours, réintroduits à la fin des années 1980, les villages de Cornillac et de Cornillon ont des airs de bout du monde. Là se trouve les écogîtes Au Présent Simple. Dominique et Antoine Toupet, venus d’Aix-en-Provence, ont aménagé en pleine garrigue cet « hôtel » original : cinq cabanes en bois et en terre, plus un tipi. Un havre de paix qui accueille une clientèle urbaine venue se ressourcer.
Par les cols de Soubeyrand (994 m) et de Peyruergue, la traversée des Baronnies nous conduit jusqu’à Saint-Auban-sur-l’Ouvèze. C’est un autre village à calades, avec ruelle sous voûte et tour ruinée. Les Baronnies portent bien leur nom. Agrégat d’anciens fiefs seigneuriaux, chacun a construit son histoire en autarcie. Victime d’une déprise rurale dans les années 1950, ces ex-féodalités retrouvent une vraie vitalité. L’émergence d’activités durables confère à ces villages ce petit supplément d’âme qui donne envie d’aller voir de près.
Passé Montauban-sur-Ouvèze, nous atteignons les Baronnies orientales et le col de Perty (1 302 m). Bienvenue dans le désert ! Ici, la densité de population atteint ses niveaux les plus bas. Du col Saint-Jean, où paissent des brebis, une route minuscule grimpe au village d’Izon-la-Bruisse. Exemple parfait de solitude rurale, Izon et ses champs de lavande cultivent la mémoire du passé, à défaut d’incarner le présent. En février 1944, 35 maquisards furent abattus dans le village par les Allemands. La descente en lacets vers Eygalayes s’ouvre sur une énième vallée, la Méouge. Le village de Lachau s’y repère de loin, avec le clocher carré de l’église, vestige d’un ancien prieuré. Il abrite aussi un château, bis repetita du passé seigneurial de tous ces villages. Le retour vers Buis-les-Baronnies s’opère à travers d’autres bourgs agricoles. Ils achèvent d’incarner cette campagne intègre, écoterre non pervertie par un tourisme et une industrialisation de masse.