Au début des années 2000, les travaux sur le rôle de la nutrition dans la santé mentale et cérébrale étaient peu nombreux. Pourtant, il était déjà admis que le système immunitaire jouait, là aussi, un rôle important, or l’alimentation a un impact considérable sur le système immunitaire.
Par ailleurs, les neurosciences et des études sur l’animal avaient montré que l’on pouvait influencer la plasticité du cerveau, en particulier de l’hippocampe, une zone essentielle pour la mémoire et la santé mentale, en manipulant des composants alimentaires. Mais quelques chercheurs passionnés comme Felice Jacka (université Deakin, Australie), ont commencé à s’y intéresser de près, en s’appuyant sur des études observationnelles. Après son étude contrôlée randomisée SMILES montrant qu’une alimentation plus saine, de type méditerranéen, entraînait une réduction de 30 % du risque de dépression (modérée à sévère), la chercheuse, une des pionnières de la psychiatrie nutritionnelle, codirectrice du Food & Mood Centre, poursuit ses travaux sur d’autres troubles mentaux comme la bipolarité. Les preuves s’accumulent. Grâce notamment à une meilleure connaissance des liens étroits existant entre l’intestin et le cerveau, il est désormais acquis qu’un régime alimentaire déséquilibré, appauvri, affecte le fonctionnement du cerveau en altérant le microbiote intestinal. Et que, à l’inverse, il est possible d’agir grâce à l’alimentation sur le psychisme.
Agir sur le microbiote intestinal
Autre pionnier de la psychiatrie nutritionnelle, Joël Doré, directeur de recherche à l’Institut national pour la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), se penche précisément, depuis près de 30 ans, sur le microbiote intestinal. Après d’autres maladies caractérisées par une dysbiose intestinale et ses paramètres (perméabilité, inflammation, stress oxydatif), il a travaillé sur les maladies neurodégénératives et les troubles psychiatriques comme l’autisme, la schizophrénie, la bipolarité et la dépression. Dans certains cas, notamment dans la dépression sur laquelle les antidépresseurs ont une efficacité limitée (20 à 30 %), son équipe a ainsi pu démontrer clairement que le microbiote intestinal jouait un rôle central, potentiellement causal, et qu’en le reconstruisant on arrivait à diminuer les symptômes dépressifs. De là à parler de nouvelles stratégies thérapeutiques de la dépression et des maladies mentales… « Une stratégie a minima d’accompagnement, nuance Joël Doré. Nos résultats suggèrent que, s’il y a une altération du microbiote intestinal concomitante avec les troubles dépressifs, nous devrions ajouter une prise en charge nutritionnelle du microbiote intestinal à la prise en charge médicale ou comportementale de la dépression, de façon à doper l’efficacité des traitements. » Ses recherches de molécules et de nutriments anti-inflammatoires et anti-oxydants efficaces sur le microbiote intestinal l’ont amené à tester - sur un modèle de souris - l'association d’un probiotique (Lacticaseibacillus rhamnosus GG), d’un acide aminé (la glutamine) et de curcumine. Il a ainsi démontré qu’au bout de 3 semaines, ces trois composants agissant en synergie étaient aussi efficaces que la clomipramine sur la dépression sévère. Passionnant.
* D’après le séminaire Food4Mood organisé par la Fondation Fondamental (réseau de coopération scientifique en santé mentale) dirigé par le Pr Marion Leboyer, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor (Créteil). En partenariat avec Future4Care, Inicea, France Biotech, l’INRAE, Food & Mood Centre, Biocodex et Pane Vivo.