Dans cette affaire, nous sommes à fronts renversés. Nombre de musulmans français sont moins choqués de la décapitation de M. Paty que de « l'affront » ainsi fait à l'islam par son inspiration pédagogique. Nombre de pays arabo-musulmans s'en sont pris non pas au crime, mais à la victime et, au-delà, à la France tout entière parce qu'elle aurait adopté un système de gestion des religions appelé laïcité et qui autoriserait qu'on les bafoue, alors qu'il favorise au contraire leur cohabitation. Derrière ce soudain accès d'anti-francisme se cachent bien sûr les arrière-pensées de gouvernements qui donnent un os à ronger à leurs populations pauvres, comme en Turquie, qui s'inscrit désormais comme notre adversaire numéro un au Proche-Orient, ou au Pakistan, dont le président s'est saisi de l'occasion pour créer une diversion par rapport à ses difficultés intérieures.
Mais le coup le plus dur qui ait été porté à la France vient de nos amis. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, s'est plaint à plusieurs reprises des réactions plutôt frileuses des pays membres de l'Union européenne qui n'ont pas cru utile de s'associer à notre deuil avec toute la compassion requise. Le malentendu vient du mot laïcité et de ce qu'il représente. Pour nous, il consiste à mettre toutes les religions sur un plan d'égalité, de sorte que nous puissions intégrer les immigrés. Pour les États-Unis et la Grande-Bretagne, il s'agit simplement de laisser les communautés vivre leur religion dans une liberté absolue, même si cette attitude crée des ghettos qui se transforment rapidement en ilôts islamistes et agressifs contre le pays hôte.
Céder serait impensable
On l'a vu avec le terrorisme, l'interprétation des prescriptions du Coran par des imams acquis à l'islamisme, puis au terrorisme, représente un enjeu de sécurité nationale. Le président de la République, Emmanuel Macron, vient d'obtenir du Conseil français du culte musulman (CFCM) qu'il contrôle mieux l'origine nationale et la formation des imams, afin qu'ils cessent d'être des professeurs de haine. Le CFCM, lui, a compris, tout le sens de la laïcité française et cherche sérieusement à s'adapter. Nos voisins européens pensent, non sans un peu de logique, que la liberté de publier des caricatures du prophète peut déclencher des incendies dans n'importe quelle communauté musulmane, façon de dire, mezza voce, qu'au fond les caricatures ne sont pas indispensables et que, si l'on tient compte de la chronologie des attentats en France et de la violence engendrée par les auteurs de bandes dessinées, le gouvernement français pourrait limiter ce qu'ils considèrent comme une « provocation ».
L'attitude de ces démocraties, qui nous sont très proches, ne tient pas compte de la réalité du rapport de forces. À l'heure qu'il est, c'est-à-dire si l'on compte le nombre de victimes, toutes innocentes, causées par les caricatures, ce serait une lâcheté sans nom de la part du gouvernement de les interdire. Une politique intérieure ne saurait être décidée par des concepts culturels venus de l'étranger. Nous n'avons pas à rougir de la laïcité, ni du sort parfois brillant que nous réservons aux immigrés musulmans.