« Nous sommes tous frappés par cette dissociation entre la connaissance des Français d'une part, qui savent que le virus continue à circuler, et le relâchement des gestes barrières d'autre part », se désole le Pr Jean-François Delfraissy, lors d'un point presse organisé par le Comité scientifique Covid-19 qu'il préside. « Seul le port du masque dans les transports publics, et dans une certaine mesure le lavage des mains, est toujours observé, constate-t-il. Les mesures de distanciation sociale et le port du masque dans les autres lieux publics sont progressivement abandonnés. »
« Les chiffres de l'épidémie ont considérablement diminué depuis le début du déconfinement mais il y a toujours environ 500 nouveaux cas par jour, poursuit le Pr Delfraissy. Ce chiffre n'est pas négligeable et pourrait servir de base à une nouvelle vague épidémique qui surviendrait dès cet été », alerte-t-il.
La France encore sur les bons rails
Le Comité scientifique a établi quatre scénarios de trajectoire de l'épidémie post-confinement. Pour l'heure, la France suit encore le scénario 1, le plus optimiste, avec des clusters identifiés, investigués et encore maîtrisés à ce stade. « Le scénario 2, dit de « cluster critique », est actuellement observé en Espagne et en Allemagne, poursuit Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la santé publique et également membre du comité scientifique. C'est un scénario dans lequel des clusters prennent de l’ampleur et des chaînes de contamination ne sont plus identifiées, mais dans lequel il est toujours possible d'agir. »
Le scénario 3 est un scénario de reprise à bas bruit, avec un R0 qui augmente progressivement. « C'est probablement ce que l'on va observer au Royaume-Uni où l'on ne sait pas si le confinement a été aussi efficace que chez nous, poursuit Franck Chauvin. Le 4e scénario est la reprise d'une épidémie violente telle qu'observée actuellement aux États-Unis ou au Brésil. »
Pour le Pr Delfraissy, « le maintien du scénario 1 n'est possible que si nous avons des mesures de distanciation sociale qui persistent. Je rappelle qu'aucun médicament n'a fait preuve de son efficacité directe contre le virus, même si nous avons une série de données encourageantes concernant des traitements qui permettent de diminuer le processus inflammatoire », martèle-t-il. Les membres du comité constatent aussi un certain laxisme dans le dépistage : seulement la moitié des personnes qui souffrent de symptômes minimes se font dépister.
Maintenir une capacité de test suffisante
Un nouvel avis du comité doit prochainement clarifier la vision sur la démarche à tenir en fonction de l’évolution de l'épidémie. Le Pr Bruno Lina (hospices civils de Lyon), responsable du centre de référence des virus respiratoire, insiste sur la nécessité du maintien de moyens de dépistage afin de repérer précocement une reprise de l'épidémie. « En février, nous avions une capacité nationale de 3 000 à 4 000 tests par jour, précise-t-il, cette capacité est désormais 10 à 20 fois supérieure et nous sera utile pour assumer une double stratégie de dépistage : explorer les clusters et faire des enquêtes en population générale pour évaluer le nombre de patients asymptomatiques. »
Le comité a par ailleurs fourni un certain nombre de préconisations concernant le volet social du déconfinement. « Les patients les plus précarisés sont les invisibles de la pandémie, explique Laëtitia Atlani-Duault, anthropologue, présidente de l'institut Covid19 Ad Memoriam et membre du comité. On commence à avoir des données brutes de surmortalité dans certaines zones, et on a déjà des bonnes raisons de penser que la pandémie accroît les inégalités sociales. Une première donnée importante est l'augmentation de 45 % des distributions alimentaires qui nous a été rapportée par les associations. »
Lors de son intervention, Laëtitia Atlani-Duault a insisté sur le fait que des patients très précaires puissent être amenés à minimiser leurs symptômes ou à refuser le dépistage, par peur des conséquences d'un diagnostic positif de Covid-19. Pour parer à ce risque, le comité a proposé des mesures d'accompagnement énuméré par l'anthropologue : « assurer que les places en foyers sont réservées le temps de la mise en confinement d'un malade, assurer la prise en charge de l'ensemble d'un foyer mono parental pour ne pas risquer de perte de garde, instaurer une prime de quatorzaine et organiser un accueil des animaux des personnes isolées ».