Difficile de s’y retrouver dans la jungle des applications en santé. L'exercice est d’autant plus périlleux que ces outils se comptent par centaine de milliers, et leur développement manque d'encadrement.
« Aucune validation, d’un point de vue médical ou de sécurité, n’est requise pour soumettre une application à une plateforme de téléchargement », détaille Gilles Braud, pharmacien et responsable des activités « mieux vivre connectés » chez Dekra certification. Habitué à disposer de garanties de sécurité telles que l'AMM (autorisation de mise sur le marché) ou un réseau de distribution qualitatif, le pharmacien doit donc réinventer des codes de sélection et de référencement pour les applications en santé.
Fiabilité médicale et sécurité : deux critères incontournables
En 2019, consciente des enjeux portés par la santé mobile, la Haute Autorité de santé (HAS) a élaboré un référentiel pour accompagner les développeurs d'applications et d'objets connectés. Ces bonnes pratiques (101 au total) mettent en avant deux critères d'évaluation majeurs : la fiabilité médicale et la protection des données personnelles. Ce dernier point est d'autant plus sensible que les applications recueillent un grand nombre d'informations dont l'exploitation reste encore trop souvent floue. « DEKRA Certification est le seul organisme de certification, accrédité par le COFRAC (comité français d’accréditation), missionné pour évaluer la qualité des applications santé dans un contexte où les usagers sont plus que jamais méfiants quant au devenir de leurs données personnelles et quant à la sécurité numérique », explique Gilles Braud.
« Pour les professionnels de santé, la certification d'une application en santé constitue un bon critère de sélection », commente Cécile Morvan, coordinatrice du collectif proximité e-sante, dont le but est de promouvoir les outils en santé connectée auprès des pharmaciens. Encore marginale, l'évaluation médico-économique par la HAS offre également une garantie pour le référencement. En 2021, seule l’application Moovcare, indiquée dans la détection précoce des récidives ou des complications associées au cancer du poumon, est inscrite sur la LPPR (liste de produits et prestations remboursables).
La sélection par la demande
Comme pour les produits de santé, le référencement doit répondre à des besoins. Dans le parcours de soins de certains groupes de patients chroniques, les applications santé sont particulièrement florissantes et ont d’ores et déjà pris une place prédominante. « Les diabétiques téléchargent des applications pour être accompagnés au quotidien, tant sur la gestion de la maladie que sur l’alimentation et la qualité de vie. Généralement développées avec des patients et cautionnées par les associations, ces applications sont particulièrement bien accueillies », note Gilles Braud. La coopération avec les patients et les associations permet ainsi d'obtenir des éléments précieux d'ergonomie et de performance sur une application en santé, et facilite la sélection.
Autre critère, l'identification de l'exploitant d'une application peut être déterminante. C'est le cas avec les laboratoires partenaires de la pharmacie, qui proposent des applications généralement qualitatives. « Les laboratoires ont développé des applications de santé relatives aux maladies pour lesquelles ils produisent des médicaments. Il ne faut pas hésiter à s'en rapprocher pour recueillir un complément d'information », souligne Cécile Morvan.
L’interopérabilité : un critère bientôt incontournable
Pour accélérer la transformation numérique en santé, il est essentiel d’intensifier l’interopérabilité des systèmes d’information. Si ce critère reste aujourd'hui difficile à satisfaire, l'interopérabilité représente un des objectifs majeurs en pharmacie comme dans d’autres organisations médico-sociales. « Le ciel commence à s’éclaircir. La stratégie d’accélération du virage numérique en santé, mise en œuvre par l’Agence numérique en santé, prévoit de favoriser l’interopérabilité entre les dispositifs proposés », explique Gilles Braud.
Un sélectionneur dans votre équipe
Pour bien sélectionner, il faut un bon sélectionneur. « Il serait tout à fait pertinent de nommer un référent digital au sein de l’équipe, dans le but d’identifier et de sélectionner les services innovants (applications mobiles, objets connectés…) pouvant être intégrés au conseil officinal », propose Gilles Braud. Pas question d’imposer une telle charge, mais plus de repérer au sein des collaborateurs celui ou celle montrant une appétence et une curiosité pour la e-santé, et capable de partager cette expertise avec l’ensemble de l’équipe.
Des applications santé pour équiper l'officine
Les applications en santé doivent également s'intégrer dans l'équipement de l'officine. Pour Gilles Braud, l’autotensiomètre connecté et la tablette numérique sont deux dispositifs qui devraient être utilisés par l'équipe officinale : « L’intérêt de l'autotensiomètre connecté est double ; le fait de le manipuler à l’officine permet de mieux connaître les atouts et les limites d’un objet connecté, et de savoir détourner quelques pièges comme une batterie trop faible ou une fonction Bluetooth désactivée. L’autre intérêt est de faciliter sa prise en main pour mieux le valoriser auprès du patient, dans le cadre du conseil. Quant à la tablette, elle permet d’être mobile dans l’espace d’accueil, et de disposer à tout moment et partout dans l’officine des applications d’aide à l’exercice pharmaceutique et des applications appariées aux objets connectés pour démonstration. »
La valeur ajoutée : un critère rémunérateur
Dans tous les cas, l'application en santé doit s'intégrer dans un projet global et apporter une valeur ajoutée au conseil officinal, comme l'explique Sophie Gillardeau, consultante en stratégie de la pharmacie (Pharma 3.0) : « Après avoir sélectionné qualitativement un ensemble d'applications, il est nécessaire de positionner ces outils dans la démarche de conseil et d'accompagnement. » Pour elle, l’application en santé est un levier pour développer de nouvelles prestations rémunératrices à l’officine, telles que des entretiens de suivi.