Le Quotidien du pharmacien. - Que pensez-vous de la prescription sur ordonnance qui concerne aujourd’hui tous les opioïdes ?
Anne-Priscille Trouvin. - Avec le passage de la codéine sur ordonnance, c’est en effet l’ensemble des opioïdes qui sont désormais disponibles uniquement sur prescription. Par ailleurs, la prescription du tramadol a été limitée à 3 mois. Il y a donc eu, au cours des dernières années, un renforcement et une harmonisation concernant la prescription de ces molécules.
Les nouvelles recommandations semblent abandonner la distinction entre opioïdes forts et faibles. Est-ce par sentiment de fausse sécurité avec les opioïdes faibles qui sont, eux aussi, à risque de mésusage ?
Rappelons que les paliers de l’OMS ont été décrits dans la douleur chronique du cancer et ne sont adaptés qu'à cette situation. Clairement, cette stratégie de palier ne repose sur aucun fondement scientifique en douleur chronique non cancéreuse. Si elle est non calmée par des traitements non opiacés, on prescrira des opioïdes en prenant en compte les différentes composantes de la douleur (sensorielle, émotionnelle, cognitive) et son retentissement sur la qualité de vie (psychologique, socioprofessionnelle). Par exemple, chez un patient douloureux chronique chez qui seuls les déplacements sont vécus comme très algiques, on préférera une petite dose d’antalgique opioïde avant l’effort plutôt qu’un traitement quotidien matin et soir voire plus fréquent. La tolérance aussi est importante à prendre en compte : une toute petite dose de sulfate de morphine peut tout à fait être mieux tolérée qu’une dose plus importante de tramadol ou de codéine. Par ailleurs, la situation sera totalement différente, et beaucoup plus évidente pour une douleur aiguë, où il faudra atteindre rapidement un niveau antalgique adapté à un soulagement rapide.
Un autre message primordial pour les douleurs aiguës est : prescrire à la dose la plus faible et pour la durée la plus courte, sans dépasser 14 jours. Au-delà il convient de toujours réévaluer la situation clinique et la nécessité d’une nouvelle prescription. Pourquoi ce choix ?
En matière de douleur aiguë, il faut abandonner le concept de l’ordonnance avec une durée systématique - classiquement, une ordonnance de sortie hospitalière d'antalgique pour 1 mois - car il faut réévaluer la situation le plus rapidement possible. Nous avons fixé la limite de 14 jours, qui nous est apparue comme atteignable, en pratique, pour obtenir un second rendez-vous médical.
La réévaluation de la douleur est-elle suffisamment réalisée ?
Pas assez, pour plusieurs raisons. En raison de l’attitude du patient qui, lorsqu’on lui prescrit un mois d’opioïde, va parfois jusqu’à prendre son traitement jusqu’au bout même s’il n’a plus mal. En raison de la démographie médicale qui ne permet parfois pas au patient de revoir son médecin au bout de deux semaines. Ou encore, car chez les médecins, le réflexe d’une réévaluation systématique du traitement de douleurs aiguës est encore peu répandu.
Les professionnels de santé sont-ils confrontés à des difficultés lorsqu’il s’agit d’arrêter un opioïde ?
Oui, surtout lors de douleurs chroniques : il est délicat de déclarer à un patient de but en blanc qu’il faut arrêter ce traitement qui, pour lui, est le seul destiné à soulager sa douleur (c'est un antalgique) bien qu'il convienne souvent de l’absence d’efficacité substantielle. On peut demander l’arrêt, mais en proposant autre chose. C’est là tout l’intérêt des consultations spécialisées de la douleur, où l’on peut envisager d’autres prises en charge, thérapeutiques ou non (kinésithérapie, neurostimulation transcutanée, acupuncture…)
Dans les douleurs chroniques, il apparaît primordial d’évaluer, avant la mise sous traitement, le risque de mésusage ?
En effet, mais ce n’est pas parce qu’il y a risque de mésusage que cela contre-indique la prescription d’opiacés. On peut prescrire, en offrant au patient un accompagnement, une surveillance accrue, et en lui expliquant les effets signant un mésusage auxquels il doit être vigilant.
Enfin, quid de la naloxone ? Faut-il élargir sa prescription jusqu'à accompagner toutes les prescriptions d'opiacés ?
Il ne faut pas élargir sa prescription, mais il faut se poser la question de sa prescription. C’est-à-dire se demander de façon systématique si ce patient risque d’avoir besoin de naloxone et si oui, lui en prescrire en lui expliquant ainsi qu’à son entourage le mode d’utilisation. Aujourd’hui, les médecins ne se posent pas assez la question.
*SFETD : Société française d’étude et de traitement de la douleur.