Au cours des dernières décennies, les tailles des aliments solides et liquides étaient normées et il n'existait souvent qu'une seule taille de portion. Aujourd'hui, on assiste pour un même produit à une multitude de portions proposées, de la plus petite à la grande taille.
« En quelques années, les portions servies dans les restaurants, en particulier dans les chaînes de fast-food, mais également à la maison, sont devenues deux à trois fois plus grosses qu'à la fin des années 1970 », confirme Pierre Chandon, professeur de marketing à l'INSEAD. Ainsi la consommation d'une pizza entière a remplacé celle d'une simple part de pizza, une portion de frites est passée de 210 kcal à 530 kcal, la taille des snacks salés a augmenté de 60 % et celles des boissons non alcoolisées de 52 %. « Ces changements provoquent une confusion sur la prise alimentaire : l'existence d'une grande taille change la perception de la taille normale de référence. Face à plusieurs portions à la fois (25 cl, 33 cl 50 cl) on ne sait plus celle qui est normale et l'ancien medium devient small. » Ainsi, la taille enfant d’un soda vendu aujourd’hui dans les fast-foods (25 cl) est supérieure à ce qui était la taille normale (19 cl) d’une bouteille de Coca-Cola pendant les années 1980.
Il ne suffit pas de s’interroger sur ce que l’on mange, il faut aussi réfléchir à la quantité de ce que l’on mange. La taille de la portion influence la quantité consommée : plus on propose des quantités importantes plus on augmente la prise alimentaire. Or la plupart des consommateurs sous-estiment fortement la taille des maxi-portions actuelles, et plus précisément l'apport calorique à mesure que la taille augmente. Cette sous-estimation est particulièrement préoccupante chez les personnes en surpoids qui choisissent de grandes portions sans nécessairement s’en rendre compte. Il faut aussi s'interroger sur les effets de la taille des contenants eux-mêmes (assiette, verre, bol). Dans une grande assiette, la portion paraît plus petite et on a tendance à se servir davantage mais il ne suffit pas de diminuer la dimension de l'assiette pour consommer moins, surtout lorsque la portion reste la même. En moyenne on consomme 80 à 91 % de la portion servie quelle que soit sa taille.
Les régulateurs de la portion consommée
La difficulté est de trouver les leviers (nudges)* en condition réelle pour inciter à manger mieux en choisissant les bonnes quantités à consommer pour une alimentation équilibrée. « Tous les nudges informatifs et qualitatifs ont un effet faible, constate Pierre Chandon. L’accent actuel sur l’amélioration de la qualité nutritionnelle des aliments (type NutriScore) se fait au détriment d’une réflexion indispensable sur les questions de quantité de l’apport énergétique et de taille des portions. » On ne peut pas occulter la dimension hédonique de l'alimentation et les nudges affectifs qui mettent plus l'accent sur le plaisir que sur la santé ont davantage d'efficacité. Plus un individu retire un plaisir d'un mets ou d'un plat, plus il est capable de réguler la taille de la portion consommée et de mieux évaluer son niveau de satiété.
Les nudges comportementaux sont les plus puissants, ils agissent en « manipulant » habilement la taille et la forme de la portion. « Cette notion a fait émerger un nouveau métier, les designers de la portion. L'approche consiste à concevoir des emballages et des portions qui tirent avantage des biais de perception visuelle pour mieux faire accepter aux consommateurs les réductions de taille, et les inciter à moins consommer en sélectionnant de portions plus petites, explique l'expert en marketing. Ainsi, en utilisant la perception des volumes, il est possible de réduire la taille des portions d'un quart sans que cela soit perceptible. »
Dans un prochain article seront présentés les quatre biais visuels qui impactent la perception et influencent la prise de décision en matière d’achat et de consommation alimentaire.
D'après une visioconférence du Fonds Français pour l'alimentation et la santé (FFAS).
* La méthode Nudge (terme anglais qui veut dire « coup de pouce »), est déployée pour inciter les consommateurs à l’adoption des comportements plus favorables et en ligne avec les recommandations officielles (fréquences et quantités adaptées à chaque catégorie d’aliment).