Les procès qui se sont ouverts le 5 octobre dans les tribunaux des comtés de Lake et de Trumbull, dans l’Ohio, État industriel du Nord Est américain, n’ont certes qu’une dimension locale, mais pourraient faire trembler 3 des principales chaînes de pharmacies du pays. Ces deux comtés ont été, comme tout le pays, fortement touchés par les overdoses et les drames liés à la dépendance aux opiacés. Beaucoup de consommateurs ont perdu emploi, famille et logement en raison de cette addiction, sans parler de l’augmentation de la criminalité liée à celle-ci.
Les procureurs des deux comtés poursuivent les chaînes Walmart, CVS et Walgreen-Boots, ainsi qu’une chaîne régionale, Giant Eagle. Ils se basent sur la législation américaine qui oblige les pharmaciens à détecter les éventuels signes de dépendance avant de délivrer ce type de produits, et à en assurer le suivi. De plus, le volume annuel de doses délivrées entre 2006 et 2014 par ces seules chaînes dans les deux comtés était si élevé qu’il représentait l’équivalent de 12 comprimés par an pour chaque habitant, enfants compris, soit près de 5 millions de doses pour 400 000 habitants. D’après la justice, les pharmacies auraient dû soupçonner qu’une grande partie des ordonnances présentées pouvait avoir été falsifiée à des fins de trafic, et prévenir les autorités. Enfin, elles n’auraient pas suffisamment sensibilisé et formé leur personnel aux risques de ces médicaments en matière de dépendance et d’overdoses.
Achats parallèles
Lors des premières audiences des deux procès, prévus pour s’achever fin novembre, les pharmacies inculpées ont rejeté ces accusations, estimant avoir exécuté dans les règles de l’art l’ensemble des ordonnances prescrites. Selon elles, la plupart des overdoses sont liées à des achats parallèles, notamment dans les nombreuses « cliniques » exerçant illégalement dans le secteur.
Produit par les Laboratoires Sackler, l’Oxycontin est considéré comme étant l’opiacé à l’origine du plus grand nombre d’overdoses et comme le point de départ de cette crise nationale qui a tué plus d’Américains que les accidents de la route ou les armes à feu. Depuis 2019, la famille Sackler négocie des milliards de dollars d’indemnités en échange d’un abandon des poursuites contre elle au niveau fédéral. Les comtés de Lake et Trumbull espèrent obtenir, eux, des indemnités de la part des pharmaciens. Elles leur permettraient de rentrer dans leurs frais, après les nombreuses aides médicales et sociales qu’ils ont dû verser aux victimes de ces produits, présentés à l’origine aux médecins comme non addictifs. Mais au-delà de l’Ohio, des centaines de villes et de comtés ont été confrontées aux mêmes problèmes et aux mêmes conséquences. Si un jugement favorable aux comtés fait jurisprudence, ceci pourrait coûter des milliards aux pharmacies concernées, ainsi qu’à d’autres chaînes ayant agi de manière identique. Enfin, quel que soit le résultat, la presse américaine relève que l’image de ces pharmacies va souffrir de cette affaire : il leur sera dorénavant plus difficile de vanter leurs compétences et la sécurité de leurs délivrances…