L'une des recherches prioritaires contre la pandémie Covid-19 consiste à identifier des antiviraux efficaces contre le SARS-CoV-2 afin de traiter les patients en phase précoce d’infection. L'objectif est de prévenir la progression vers la maladie sévère (phase hyperinflammatoire) et réduire la transmission virale. Une approche rapide en recherche est de repositionner des médicaments en antiviraux.
L’équipe du Pr Nevan Krogan, du Quantitative Biosciences Institute (QBI) à l’université californienne de San Francisco (UCSF), en collaboration avec l’Icahn School of Medicine au Mount Sinai à New York et l’Institut Pasteur à Paris, publie dans « Nature » une étude originale basée sur la carte d’interactions protéiques, ou « interactome », du SARS-CoV-2. Ce travail ouvre aussi la voie pour mieux comprendre comment le virus détourne la machinerie cellulaire de son hôte pour se reproduire.
Quelque 332 interactions
Les chercheurs ont d’abord cartographié systématiquement toutes les interactions entre les protéines du SARS-CoV-2 et les protéines humaines pendant l’infection. Pour cela, ils ont cloné, marqué et exprimé individuellement 26 des 29 protéines du virus dans des cellules humaines (HEK293T). Ils ont ainsi identifié 332 interactions entre les protéines du virus et celles de l’hôte. De plus, plusieurs protéines virales (dont N, nsp9, nsp13, ORF3a et ORF6) ciblent des protéines cellulaires participant à l’immunité innée. Parmi les 332 interactions décrites, 66 protéines humaines sont ciblées par 69 composés connus, dont 29 médicaments approuvés, 12 agents en cours d'essai clinique et 28 en essai préclinique.
Afin de tester in vitro l’activité anti-SARS-CoV-2 de ces composés, l’équipe californienne s’est alliée avec celles du Pr Christophe d’Enfert à l’Institut Pasteur (Paris) et du Pr Adolfo Garcia-Sastre au Mount Sinai (New York). Les deux équipes ont testé à ce jour 47 des 69 composés. L’étude in vitro a identifié deux classes de composés réduisant l’infectivité virale : des inhibiteurs de la traduction des ARNm et des régulateurs des récepteurs Sigma1 et Sigma2 (récepteurs du réticulum endoplasmique).
Dix médicaments efficaces in vitro, et à l'inverse un proviral
Dix médicaments ont fait preuve d'une efficacité in vitro contre le SARS-CoV-2. Deux inhibiteurs de la traduction des ARNm présentent une puissante activité antivirale : le zotatifin, en essai de phase 1/2 contre des cancers solides et le ternatin-4 (plitidepsin), un anticancéreux utilisé contre le myélome multiple. Les deux compagnies produisant ces médicaments (eFFECTOR Therapeutics à San Diego, Pharma Mar à Madrid) ont déjà annoncé qu’elles allaient lancer des essais cliniques pour le Covid-19.
Parmi les nombreux médicaments connus pour moduler les récepteurs Sigma1 et Sigma2, plusieurs ont montré une activité antivirale in vitro : des antihistaminiques (clopérastine et clémastine), des antipsychotiques (halopéridol et melpérone), un antipaludique (hydroxychloroquine, y compris dans des essais contre le Covid), l’hormone progestérone, un anxiolytique (siramésine), et deux composés précliniques dont le PB28. De façon intéressante, le PB28 (agoniste du Sigma2) montre une activité antivirale supérieure à l’hydroxychloroquine dans le test in vitro, avec une plus grande sélectivité. Selon les chercheurs, il reste à savoir si la pharmacocinétique des antihistaminiques sera appropriée pour un traitement antiviral et ils déconseillent leur utilisation en dehors des essais cliniques en raison des risques d’effets secondaires.
De façon curieuse, les chercheurs ont découvert qu’un médicament (agoniste du Sigma1), le dextromorphan trouvé dans des sirops antitussifs en vente libre, présente une activité provirale in vitro. Ceci invite donc à la prudence en attendant des études approfondies. « Ce sont des résultats in vitro, cela n’a pas été montré cliniquement, souligne bien le Pr Brian Shoichet (UCSF). Cependant, puisqu’il s’agit d’un effet pro-viral, des études sont nécessaires. »
L'avantage des antiviraux ciblant l'hôte
Les antiviraux ciblant l’hôte ont l’avantage, par rapport à ceux ciblant directement le virus, de contourner le problème de résistance acquise par mutation du gène viral. Elle pourrait par ailleurs procurer des antiviraux efficaces contre toute une gamme de virus (et coronavirus) pour les futures pandémies. Enfin, cette étude élargit l’arsenal d’antiviraux prometteurs à évaluer en essais cliniques, en monothérapie ou en combinaison avec d’autres antiviraux, notamment dirigés contre des protéines de l’hôte (tel que le camostat, qui cible la protéine TMPRSS2 nécessaire à l’entrée du virus par le récepteur ACE2) ou directement contre le virus (remdesevir, favipiravir, etc.).
Ce projet a commencé voici seulement deux mois. « Ce qui me fascine, c’est que nous avons été en mesure de rassembler autant de brillants scientifiques non seulement chez nous mais dans le monde entier pour nous concentrer sur une question. Cela nous a permis d’avancer à une vitesse inédite en quelques semaines pour faire des recherches qui normalement prennent des années. Cette collaboration sans précédent dans ma carrière est inspirante », a confié au magazine GEN le Dr Krogan.
D. Gordon et al., Nature, 10.1038/s41586-020-2286-9, 2020.