Allongé sur son lit, Julien repense à la journée qui vient de s'écouler. Il revoit cette femme lui tendre une ordonnance d'hydroxychloroquine. Une parfaite inconnue de la pharmacie, mais la prescription était en règle. Par réflexe, le jeune pharmacien se souvient avoir regardé au dos de l'ordonnance. Le médicament avait été délivré une première fois, dans une autre pharmacie : la patiente avait reçu trois boîtes du médicament, il y a une semaine.
« Je ne peux pas vous renouveler l'ordonnance, Madame, vous avez eu le traitement il y a sept jours. Vous avez ce qu'il faut pour un mois », a expliqué le jeune homme, comprenant que la partie allait être longue.
La femme ne s'était pas laissée impressionner. Elle avait d'abord pris un air étonné avant de prétexter qu'elle avait perdu une boîte.
« lI va m'en manquer, c'est très embêtant. Je prends ce médicament pour ma polyarthrite
».
Cette femme mentait et Julien le savait parfaitement. Elle était sans aucun doute traitée pour cette maladie, mais elle avait l'intention de faire un stock de son médicament pour des raisons inconnues et non recevables.
Julien se lève prendre un verre d'eau. Il ne trouve pas le sommeil. Il continue à se demander s'il a eu raison de ne pas délivrer l'hydroxychloroquine à cette patiente. Au bout de quelques minutes, elle avait fini par admettre que son père présentait les signes de Covid-19 et que, sur les conseils d'un ami médecin, elle lui avait administré ce traitement pour« prévenir toute complication ». Julien était consterné : il était clairement face à une fraude, mais une fraude motivée par la peur.
Seul dans sa chambre, il s'interroge encore et essaie d'analyser la situation. Le détournement des médicaments devient de plus en plus fréquent en cette période de doutes et d'inquiétudes. Jusqu'à quel point un professionnel de santé peut-il cautionner de tels actes ? Qui est le plus irresponsable : le médecin qui expose son patient à un risque toxique, ou le pharmacien qui ne délivre pas un remède qui pourrait sauver la vie d'un homme ? Et comment blâmer une femme qui cherche à agir pour sauver un proche d'une maladie potentiellement mortelle ? Depuis des semaines, alors que chaque jour la DGS fait le point sur le nombre de personnes décédées ou dans un état grave, les médias font la promotion de ce médicament auquel la patiente a facilement accès.
Julien se remémore alors une discussion récente qu'il a eue avec un cousin, quelques jours auparavant. Après avoir questionné Julien sur ce qu'il pensait de l'hydroxychloroquine, ce dernier lui avait dit sans aucune hésitation :
« Si demain je suis malade, j'essaierai de sauver ma peau et pour ça, je prendrai l'hydroxychloroquine. Si un professeur de Marseille le teste, c'est bien que l'effet est intéressant. »
Julien n'avait pas su quoi répondre, si ce n'est de mettre en garde contre l'utilisation d'un médicament non dénué de risques.
Allongé sur son lit, Julien se demande ce qu'il ferait si ses parents ou lui-même venaient à être contaminés par le SARS-CoV-2, et que leur état devenait critique. Chercherait-il lui aussi à utiliser un traitement qui, faute d'avoir montré son efficacité, portait l'espoir de la guérison ? Ne rien faire ne serait-il pas pire ?
(À suivre…)