Déjà très impopulaire chez les pharmaciens, le ministre allemand de la Santé n’a pas amélioré son image en publiant dans le grand quotidien « Frankfurter Allgemeine », la veille de l'ouverture du congrès, son plan de réorganisation du réseau officinal. Ces annonces ont pris de court les pharmaciens, et bouleversé l'ordre du jour de leur congrès, qui s'est déroulé dans une ambiance tendue. Les pharmaciens ont remis pour l'occasion les gilets blancs marqués du slogan « renforçons la pharmacie maintenant », qu'ils avaient déjà portés lors de leur grande manifestation de juin dernier, laquelle avait réclamé, sans succès, une hausse de leurs honoraires, gelés depuis dix ans.
Des pharmacies low cost à la place des filiales ?
Depuis 2004, chaque titulaire a le droit de posséder trois « filiales » en plus de sa pharmacie principale : il s'agit souvent de pharmacies rachetées à des confrères n'ayant pas trouvé de repreneur, qui sont alors gérées par le nouveau titulaire et fonctionnent avec des adjoints dépendant de ce dernier. On compte un peu moins de 18 000 officines en Allemagne, dont près de 4 700 filiales, le nombre global de pharmacies baissant très fortement depuis plusieurs années, surtout dans les zones rurales et isolées.
Le Dr Lauterbach, médecin, qui fut pendant des années le porte-parole santé du parti social démocrate (SPD) avant d'être nommé ministre en décembre 2021, souhaite que ces filiales deviennent des pharmacies à compétences limitées. Elles ne seraient plus astreintes aux gardes de nuit et de week-end, et n'auraient plus ni laboratoire ni préparatoire, bien que les préparations constituent toujours une activité importante en Allemagne. De plus, ces officines « light », pour ne pas dire low cost, pourraient travailler sans pharmaciens, avec des préparateurs à leur place, reliés par téléconsultations avec l'officine principale. En outre, le gouvernement envisage d'autoriser les pharmaciens à posséder plusieurs officines principales : en clair, c'est la porte ouverte aux chaînes, même si le ministre exclut que des non-pharmaciens ou des groupes financiers puissent racheter des officines.
Pour la présidente de l'association fédérale des pharmaciens, (ABDA), Gabriele Overwiening, ce plan est une « déclaration de guerre » qui ne fera que détruire un réseau qui fonctionne bien, et remet son avenir en question. Elle rappelle que toutes les tentatives de « libéralisation » du réseau, que ce soit la création d'officines secondaires ou celle de chaînes, se sont traduites par une désertification accrue des zones rurales et une concentration plus forte des pharmacies dans les zones urbaines : la Suède, et plus récemment le Danemark, mais aussi la plupart des anciens pays de l'Est après la chute du communisme, en offrent les meilleurs exemples.
Grèves régionales à partir du 13 octobre
Ordres et syndicats ont annoncé dès à présent une série d'actions de protestation et de grèves régionales à compter du 13 octobre, avec des fermetures complètes dans tout le pays fin novembre, lorsque les parlementaires seront amenés à se prononcer sur ces projets. Même si le ministre assure vouloir ainsi protéger les pharmacies, son plan a suscité le rejet unanime de toute la profession, déjà épuisée par les surcharges de travail liées aux pénuries, mais aussi par le manque chronique de personnel et la non-revalorisation des honoraires. Le « baromètre des pharmacies » un outil créé par l'ABDA qui présente chaque année l'état d'esprit de la profession, montre que le moral des pharmaciens n'a jamais été aussi bas… Et que 15 % d'entre eux envisagent de licencier des collaborateurs dans les mois à venir en raison de leurs difficultés économiques, alors qu'ils étaient 5 % à le penser l'an dernier.
L'année 2023 pourrait voir la fermeture de 600 pharmacies, soit deux fois plus qu'en 2022, selon les chiffres provisoires présentés lors du congrès. Comme l'a souligné de surcroît Mme Overwiening, « nous manquons déjà de pharmaciens et de personnel, mais qui va souhaiter devenir pharmacien ou préparateur avec pour perspective d'exercer dans un simple dépôt de médicaments et sans salaire attractif ? ». Dans tous les cas, les mois à venir s'annoncent lourds de menaces pour la profession, mais aussi particulièrement agités.