Emmanuel Macron lutte contre plusieurs paradoxes : la réforme des retraites est rejetée parce qu'elle prévoit une prolongation des carrières jusqu'à 65 ans ; tout le monde sait pourtant que, si l'on veut faire de substantielles économies, il faut augmenter le nombre de cotisants et réduire celui des bénéficiaires ; M. Macron, par ailleurs, veut éviter d'être « chiraquisé », c'est-à-dire qu'il refuse de ne rien faire pendant son second et dernier mandat, et, à tout prendre, il veut une réforme dont le pays se souviendra. C'est légitime, ce n'est pas ce qui convient aux corps constitués, les syndicats et les partis d'opposition, sauf LR.
Dans cette affaire, il y a la vision personnelle du président de la République qui cadre parfaitement avec une réalité sociale et financière incontestable : les Français vivent plus vieux et avec une meilleure qualité de vie. Et le rapport cotisants-bénéficiaires se dégrade : moins d'individus au travail, davantage de personnes déjà à la retraite. À quoi il faut ajouter que nos partenaires européens ont déjà une retraite tardive et que nous sommes les seuls à hurler notre souffrance de besogneux éternels.
Comme les choses se présentent, nous n'irons nulle part. Mais si les syndicats consentent à négocier, il y a du grain à moudre. Le gouvernement doit d'abord donner des garanties pour tous ceux qui ont commencé très jeunes leur carrière. Ils partiront avant 65 ans s'ils ont accumulé le nombre suffisant de trimestres de cotisations ; de même pour les seniors qui risquent d'être licenciés avant 65 ans. Il faut que, d'une manière ou d'une autre, leur emploi soit garanti. Il faudra une bonne dose d'optimisme à Élisabeth Borne pour mener les discussions en apportant de quoi calmer la fureur syndicale. De deux choses, l'une : ou bien les leaders syndicaux ne hurlent que pour montrer leur détermination, et alors on trouvera des points d'accord, ou bien ils sont sérieux, et les plus belles concessions du gouvernement les laisseront indifférents.
Borne dans la fosse aux lions
Voilà la mésaventure qui nous attend pour la rentrée et dont nous nous serions bien passés. Même l'unanimité syndicale est sans précédent, la CFDT étant vent debout contre le projet gouvernemental. Mme Borne nous a habitués à affronter les pires ouragans, on va voir ce qu'elle est capable de faire une fois qu'elle sera dans la fosse aux lions. Il est difficile de croire qu'elle est partie pour négocier sans avoir quelques atouts dans sa manche. Quant à l'opinion, elle doit prendre l'affaire avec une petite dose de fatalisme. Si la tragédie expose la confrontation inexpiable des caractères, il est facile de dire soit que le pays n'a pas besoin de cette réforme soit que les syndicats sont bouchés à l'émeri.
Le débat est d'ailleurs hautement philosophique dès lors qu'il oppose l'être humain au travail. Pour les uns, le travail pourrit la vie, pour les autres, il l'enrichit. Tous devraient se dire qu'il y a un peu des deux et que cela dépend énormément de la nature de l'emploi que l'on a. Les ouvriers se voient aller à l'usine, son fracas et ses automatismes jusqu'à 65 ans ; les littéraires et scientifiques se voient poursuivre leurs recherches et leur métier au-delà même de 65 ans. En réalité, ce sont les structures mêmes des sociétés qu'il faut changer. Par exemple, pour un senior âgé de 60 ans, il est préférable qu'il change d'emploi, qu'il ne soit plus un exécutant, mais un cadre. Dans une société idéale, le travail doit être accompagné par le progrès social. Une carrière ne doit pas s'achever dans l'humiliation mais dans une forme de récompense.