Le suc d’aloe, la racine de rhubarbe, la feuille de séné, l’écorce de bourdaine ou de cascara, vous connaissez ?
« Ces parties de plantes renferment des dérivés hydroxy-anthracéniques, dont l’usage médical en tant que laxatif stimulant est bien établi », rappelle l’Académie nationale de pharmacie. Il en est de même, dans une moindre mesure, pour le cassier (arbre tropical dont on utilise la pulpe du fruit) ou l’écorce de neprun. Leur présence dans plusieurs compléments alimentaires inquiète aujourd'hui les académiciens. Pour Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à la faculté de pharmacie de Paris-Sud/Saclay, c'est même une ineptie. « De par leur action pharmacologique reconnue, ces plantes devraient être considérées comme des principes actifs de médicaments, et non pas comme des aliments », martèle-t-il. Un avis entendu par l’Académie de pharmacie qui, dans un rapport qu'elle vient de rendre public, « demande que ces plantes soient retirées de la liste de celles autorisées dans les compléments alimentaires en France ».
Maladie des laxatifs
Une exigence justifiée par le fait que ces plantes ne sont pas dénuées de risques. Leur action laxative est puissante mais aussi irritante pour le tube digestif. Leur usage prolongé peut provoquer une dépendance qu’on appelle la « maladie des laxatifs ». Dans cette pathologie, les patients ont perdu leur péristaltisme intestinal et ne peuvent plus aller à la selle sans utiliser de laxatif. S’ensuivent des pertes hydriques, des carences en sels minéraux - notamment en potassium - qui peuvent se manifester par des myalgies et des troubles du rythme cardiaque. À long terme, des lésions définitives de la paroi interne de l’intestin peuvent apparaître. « Certaines études suggèrent même que la racine de rhubarbe et le suc d’aloe seraient liés à un risque de cancer du côlon », ajoute Sylvie Michel, professeur au laboratoire de pharmacognosie de la faculté de pharmacie de Paris Descartes.
Malheureusement, les effets indésirables imputables aux compléments alimentaires sont rarement rapportés et donc, au final, peu connus en vie réelle. La nutrivigilance est peu développée, et beaucoup considèrent les compléments alimentaires comme des produits naturels et bien moins dangereux que les médicaments. Leurs consommateurs les mettent donc rarement en cause devant l’apparition d’un effet indésirable. « Nous avons d’ailleurs tenté d’obtenir des témoignages de gastroentérologues et de patients afin d’étayer le dossier, mais sans succès », regrette Jean-Pierre Foucher, l'un des auteurs du rapport de l'Académie. Mais « il est déjà clair que la sécurité du consommateur n’est pas assurée avec ces produits », insiste-t-il.
Contexte européen
Aujourd’hui, on ignore quelle pourra être la portée de ce rapport dans un contexte de réglementation européenne qui prévoit la libre circulation des denrées alimentaires. S’il n’est pas possible d’interdire ces plantes pour des raisons de droit européen, plusieurs actions peuvent toutefois être entreprises. Pour les académiciens, il paraît par exemple indispensable d’indiquer sur le conditionnement des produits concernés certaines préconisations. « Aujourd’hui, les seules mises en garde formulées sont une interdiction chez l’enfant de moins de 12 ans et chez la femme enceinte, c’est insuffisant, souligne Jean-Pierre Foucher. Il faudrait au moins que figurent une durée et une dose d’utilisation ainsi que les effets secondaires. » Reste maintenant à savoir si de telles préconisations trouveront écho auprès du ministère de la Santé, auquel va être présenté ce rapport.
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