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Le conseil pharmaceutique fait sa révolution

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Publié le 03/06/2019
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Relistages des codéinés en 2017 et du flurbiprofène en mai dernier, menace sur les vasoconstricteurs décongestionnants, et surveillance renforcée sur l'ibuprofène… Peu à peu, les stars du conseil officinal disparaissent en coulisse, laissant le pharmacien quelque peu démuni. Rien d’étonnant alors que, dans ce contexte, la dispensation protocolisée apparaisse comme la planche de salut des officinaux dans leur rôle d'acteurs de premier recours.
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Crédit photo : BURGER/PHANIE

Fin mai, ce fut au tour des pastilles de Strefen (flurbiprofène) de passer sous ordonnance. Avant elles, la prescription obligatoire avait frappé, il y a deux ans, les sirops codéinés et tout autre produit contenant de la codéine, du dextrométhorphane, de l'éthylmorphine ou de la noscapine. Ce nouveau listage prive une fois de plus les pharmaciens d’un pan de leur arsenal thérapeutique. Sans compter la vigilance renforcée de l'ANSM sur la pseudo-éphédrine et autres vasoconstricteurs à visée décongestionnante.

À l’inverse d’un mouvement observé dans les années 2000, celui des switches (délistage de l'oméprazole, de la cétirizine, du lopéramide…), les officinaux se trouvent aujourd’hui de plus en plus dépossédés dans leur rôle de conseil. Ces restrictions frappent particulièrement les antalgiques, notamment de classe 2, les antitussifs et les remèdes contre la rhinite. Dans un débat organisé récemment par « Le Quotidien du pharmacien », Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) évoquait le caractère quasi inéluctable de cette évolution face à un durcissement de la législation (voir notre édition du 27 mai 2019). À tel point que les officinaux ne voient d'autres issues que l'avènement de la dispensation protocolisée, un amendement à la loi santé étudié actuellement par le Sénat.

Miser sur une approche holistique de la santé

Cette revendication de la profession n’est pas nouvelle. En novembre 2017, lors de la Journée de l’Ordre, Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) se saisissait du récent listage des codéinés pour suggérer à Agnès Buzyn, ministre de la santé, d’autoriser les pharmaciens « à dispenser de manière responsable des médicaments, que l’on pourrait appeler médicaments à prescription pharmaceutique ». Près de deux ans plus tard, il y a désormais urgence à ce que la profession reprenne la main sur le conseil pharmaceutique. En témoignent les situations parfois dramatiques auxquelles se trouvent confrontés les professionnels, et ce pas uniquement dans les zones médicalement sous-dotées (voir ci-dessous).

L’officinal est d’autant plus démuni que le marché OTC lui offre peu d’alternatives. Et il est peu raisonnable d'espérer un élargissement de l'arsenal conseil. Car, comme le souligne une récente étude Xerfi*, ce marché est étale (1,7 % de croissance en dix ans !). Voire en contraction. Certains produits comme les antalgiques de classe 2 ont tout bonnement disparu. Les vasoconstricteurs, dans le collimateur, sont déjà aujourd’hui interdits de publicité. Dans une moindre mesure, les pharmaciens risquent de voir leur échapper une nouvelle part du marché des traitements antitabagiques. En effet, comme le soulignent les auteurs de l’étude Xerfi, la disparition du forfait au profit d'une prise en charge classique des substituts nicotiniques, risque d'induire un report des achats OTC conseillés par le pharmacien vers la prescription remboursée.

Alors que la palette conseil du pharmacien se réduit comme peau de chagrin, il n’y a pas davantage à attendre d’une croissance de l’automédication. Toujours selon l’étude Xerfi, l’absence de politique volontariste en faveur de l’OTC, doublée de la frilosité des Français peu enclins à débourser pour leurs médicaments et influencés « par des campagnes anti-automédication d’associations de consommateurs », constitue un frein majeur à l'essor de ce marché.

Un espoir se dessine cependant avec le transfert des achats sur l’aromathérapie, les compléments alimentaires, ou encore les dispositifs médicaux. Le pharmacien, en tant que professionnel de santé, a sans aucun doute un bénéfice à tirer de cette tendance axée « sur une approche holistique de la santé ». De même, aurait-il paradoxalement à gagner d’un déremboursement de l’homéopathie qui, s'il survenait en septembre 2019, ferait progresser le marché de l’automédication de 3 % dès 2020, selon l’un des scénarios envisagés par Xerfi.

L'alternative de l'automédication

Quelques réserves toutefois quant aux débouchés offerts par les produits de nutrithérapie/compléments alimentaires et dispositifs médicaux. Les pistes sont en effet brouillées par les stratégies de certains groupes industriels qui visent à contourner l’encadrement des marques ombrelle en déployant une approche plus globale de l’offre, explique en substance Rémi Vicente, auteur de l’étude Xerfi.

Le canal officinal risque par conséquent d’être le premier sacrifié par ces ambitions de marques fortes qui « procurent des marges de liberté sans comparaison avec le médicament en matière de communication et de distribution (parapharmacies, voire GMS) ». D’où l’intérêt qu’aura le pharmacien à se distinguer par un référencement de laboratoires de moindre envergure. Aussi inquiétantes qu’elles paraissent, ces projections ont l’avantage de consacrer le conseil du pharmacien en tant qu'acte à forte valeur ajoutée. Les chercheurs identifient même l’officinal « comme un nouvel interlocuteur de première ligne à même d’orienter les patients vers des solutions d’automédication ». Un rôle qui pourrait alors intervenir en complément de la dispensation protocolisée. Le conseil pharmaceutique fait sa révolution.

* « Le marché de l’automédication à l’horizon 2022. Concurrence du hors AMM, percée des génériques, possible déremboursement de l’homéopathie… : quelles perspectives de croissance pour le marché ? »

Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3524