Pour certains, il aura suffi de vouloir. Et Pascal Brière n'est certes pas dénué de volonté. Peut-être peut-on même parler de pugnacité pour celui qui va accompagner toute une génération dans la transition vers le générique. Dans cette optique, on part de loin et pas seulement en termes de temps.
À la fin des années 1980, en Belgique, Pascal Brière consacre son VSNE (service militaire en entreprise) à développer un médicament à base de fibres, quand il rencontre le directeur de la division Chimie/Nutrition du Laboratoire Roussel-Uclaf. Les deux hommes s'entendent pour créer une société de médicaments génériques. Peu développés, sinon à l'hôpital et essentiellement sous forme injectable, ces produits n'ont pas de définition légale. Presque confidentiels, ils constituent une niche que Roussel-Uclaf décide d'investir, en 1988, par le biais de l'entreprise dirigée par Pascal Brière qu'ils baptisent Qualimed, abréviation de « qualité médicament ». La structure va donner lieu à une vingtaine de formules, antibiotiques à usage exclusivement hospitalier, anesthésiques, produits en soluté massif, anticancéreux… Bien accueillies par les pharmacies hospitalières, elles se développent aussi sous l'impulsion des marchés d'appel d’offres. Puis le tournant se produit.
En 1996, l'État décide qu'il faut instaurer une concurrence à l'aide de médicaments génériques sur son territoire. Une mission pour laquelle il mobilise les industriels du médicament. De nombreux fabricants de princeps sont intéressés, parmi lesquels le Laboratoire Servier. Mais, pour se lancer dans l'univers du générique, il faut une compétence que l'industriel n'a pas. Qualimed, en revanche, a déjà huit années d’expérience dans ce domaine. Pascal Brière rejoint alors Servier pour créer Biogaran – Bio équivalence garantie. « Très vite, nous avons su qu'il serait possible de devenir leader du marché des génériques », confie Pascal Brière. Une conviction dont l'entreprise, à l’époque, fait part à qui veut l'entendre.
Et de persuasion, il va falloir faire preuve face à une population de ville, totalement étrangère à la définition du générique. Mais pour l'heure, ce sont les médecins prescripteurs qu'il faut rallier à la cause Biogaran. Sans droit de substitution, il faut les convaincre de prescrire non seulement la molécule générique, mais aussi le nom de son fabricant sur l'ordonnance. Et Biogaran, qui ne dispose que de 5 molécules Amoxicilline, Lopéramide, Lactulose, Nifuroxazide, Furosémide, n'est pas connu des cabinets médicaux qui, par ailleurs, sont peu favorables aux génériques. La situation s'enlise. En 1999, le gouvernement constate que le marché des génériques ne décolle pas. L'industrie s'attend alors à ce qu'il donne aux pharmaciens le « petit » droit de substitution, grâce auquel l'officine peut remplacer le médicament générique par une autre marque générique. À la rentrée 1999, le « grand » droit de substitution, pratiqué actuellement, sera accordé à la surprise générale.
Grande ouverte
Pour Biogaran, c'est la porte du marché qui s'ouvre toute grande. Son portefeuille de molécules s'est étoffé, son offre en services pour accompagner l'officine vers la substitution est fournie, son identité, celle d'un laboratoire français, dynamique et pionnier du générique, est déjà forte. Elle sera confortée par des éléments de communication originaux qui vont contribuer à faire de Biogaran une marque à part entière : Bioggy, petit personnage bleu portant sous le bras un comprimé Biogaran, offre au laboratoire une identité sympathique, tandis que le spot télévisé « Diamant » met en scène le médicament générique sous la forme d'une pierre précieusement active.
Reste à convaincre les patients de l'utilité des génériques. Une épreuve pour l'officine qui doit lutter contre des réticences, parfois des refus, émanant d'une population déstabilisée par cette nouvelle catégorie de médicaments. Dans ce combat quotidien, les pharmaciens ne sont pas bien armés. Ils doivent encore se familiariser avec le dispositif de substitution et expliquer les correspondances entre DCI et princeps… La situation est complexe et peut parfaitement mener à l'impasse. À ce bloc rigide, Biogaran oppose finesse et empathie. Le laboratoire développe deux stratégies qui vont se révéler essentielles dans l'acceptation des génériques. La première transforme le packaging pour en faire un élément de dialogue entre le patient et le pharmacien qui peut s'en servir pour expliquer le traitement. La boîte se dote d'une zone réservée à la posologie et s'habille de pictogrammes divers renseignant sur la forme galénique du médicament, la fréquence et les heures de prise, les profils à qui il se destine…
Le second levier se présente sous la forme d'un kit de formation et d'éducation voué à faciliter au pharmacien la prise en main des génériques. Baptisé Biogaran Pro, il abrite des outils d'équivalence, un logiciel de gestion et un calculateur de marges. Il ne faut pas attendre longtemps pour que les graines portent leurs fruits. Dès le début des années 2000, l'officine s'ouvre aux génériques et à ses fabricants. Mais elle plébiscite tout spécialement Biogaran qui, fort de ses succès, commence à concurrencer Merck Générique (futur Mylan), alors premier fabricant de médicaments génériques sur le territoire. Vingt ans plus tard, les deux géants se partagent toujours le leadership d'un marché dont ils occupent plus de la moitié des parts à eux seuls. Aussi impressionnante que soit son ascension, Biogaran ne l'a pas réalisée seul. Dans l'évocation de son parcours, le laboratoire rend hommage aux groupements comme Giropharm, Évolupharm et aux répartiteurs comme l'OCP, dont la collaboration précoce s'est révélée une aide précieuse.
Élargir le répertoire
Un autre élément joue également un rôle prépondérant dans le parcours de Biogaran, comme sa volonté impérieuse de traduire toute formule princeps en langage générique. Une politique du « full linning » qui pousse le laboratoire « à acquérir tout ce qui n’est plus couvert par un brevet ». Cette hyperactivité a donné lieu à des lancements notoires qui marquent son histoire : le générique de l'Augmentin, que Biogaran a été le premier à lancer, la Rosuvastatine, qui restera une exclusivité du laboratoire pendant de nombreux mois, ou encore l'Oméprazole… Et la liste est amenée à s'allonger si l'on considère le nombre de molécules chimiques, dont des têtes d'affiche comme le Rivaroxaban et les anticoagulants de la même famille, qui attendent de rejoindre le domaine public. « Il y a encore 300 à 400 millions d'euros de princeps qui tombent chaque année, précise le fondateur de Biogaran. Le dynamisme est donc bien là ! On croit être arrivé au bout parce que la prescription au sein du Répertoire plafonne à 47 %. » Et de citer l'exemple de l'Allemagne qui atteint un taux de substitution de 80 % pour en conclure que « tout reste à faire ». À commencer par « élargir le répertoire en incitant les médecins à plus y prescrire, mais aussi en y ajoutant les hybrides ou encore des biosimilaires… ».
Un potentiel que le 3e laboratoire français entend nourrir en actionnant deux leviers de croissance : celui que constitue le développement des biosimilaires, une voie que Biogaran a initiée en lançant dès 2015 le premier biosimilaire anti-TNF alpha (Infliximab) bientôt suivi du premier biosimilaire d'anticorps monoclonal (Rituximab). « Dès lors que ces produits ont une efficacité et une tolérance identiques et qu’à l’hôpital ils représentent déjà 80 % des traitements, tous les autres discours à leur encontre sont sans fondement », affirme Pascal Brière. Pour le dirigeant, l'objectif est simple bien qu'ambitieux puisqu'il s'agit de devenir le leader des médicaments biosimilaires en ville, une position qu'il occupe déjà à l’hôpital. Pour ce faire, le laboratoire projette d'apporter toute la gamme des biosimilaires de ville aux pharmaciens d’officine, une démarche déjà amorcée par la commercialisation d’Enoxaparine Crusia. D'autres pistes sont à l'étude, pas forcément dans le champ générique. Pourquoi ne pas investir le marché de l'OTC, celui de la nutrithérapie ou développer une gamme de compléments alimentaires ? Quand on a su, dans un univers de non-marque, doter son laboratoire d'une si forte identité, rien n'est hors de portée.
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