PARMI les conclusions de l’enquête sur la distribution du médicament de ville, l’Autorité de la concurrence a proposé une réforme pour permettre la vente de médicaments sans ordonnance dans les parapharmacies et les grandes surfaces. Cet avis, paru le 19 décembre dernier, a suscité de nombreuses réactions hostiles, en particulier chez les acteurs de la chaîne du médicament, mais aussi de la part de la ministre de la Santé. Marisol Touraine s’y est en effet vivement opposée, rappelant son attachement au monopole officinal sur les médicaments, « qui permet à notre pays de sécuriser leur dispensation et d’agir efficacement contre la contrefaçon, tout en garantissant l’accès de nos concitoyens aux médicaments sur l’ensemble du territoire ».
Afin d’approfondir le sujet, l’Autorité de la concurrence en a fait l’un des thèmes de son premier rendez-vous de l’année. « Le modèle français, qui compte beaucoup d’atouts, n’est pas immuable. L’automédication se développe, la vente en ligne vient de s’ouvrir, mais nous restons dans un contexte d’opacité sur les prix avec des disparités surprenantes (avec des écarts de 1 à 4) entre pharmacies. C’est pourquoi nous avons proposé une ouverture de la vente de médicaments sans ordonnance qui soit limitée, encadrée et accompagnée », rappelle Bruno Lasserre, le président de l’Autorité de la concurrence. Une vente qui serait limitée aux médicaments à prescription médicale facultative (PMF), encadrée pour que les produits concernés bénéficient des mêmes règles déontologiques qu’en officine, et accompagnée « pour que le rôle du pharmacien soit renforcé », explique Éric Cuziat, rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence. Le but ? Faire baisser les prix en renforçant les mécanismes concurrentiels. « Les centrales d’achat des GMS ont la capacité de négocier avec les fournisseurs pour obtenir des conditions favorables, qu’elles pourraient répercuter sur le consommateur », avance encore Éric Cuziat.
Déstabilisation le réseau.
Le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Gilles Bonnefond, relève les précautions évoquées par l’Autorité de la concurrence pour permettre cette vente en grande surface : « Un pharmacien diplômé dans un corner dédié aux médicaments, ça s’appelle une pharmacie. » Or créer « 500, 800 ou plus » nouvelles pharmacies conduirait à « une déstabilisation du maillage ». « Celui qui reste en bout de chaîne, c’est souvent le pharmacien, avec d’énormes difficultés économiques. » De plus, l’absence d’indépendance du pharmacien salarié en GMS effraie le syndicaliste. « En pharmacie, 40 % des patients ressortent sans médicament, mais avec un conseil, une réorientation vers un médecin, assortie parfois d’un refus de vente. » Le président de l’USPO rappelle d’ailleurs que certains médicaments à PMF sont prescrits et même remboursables, comme le paracétamol. « Le médicament conseil fait partie du parcours de soins du patient, il doit être inscrit dans le dossier pharmaceutique. » Quant à l’idée qu’il faut confier la PMF aux grandes surfaces parce que leurs centrales d’achat pourront négocier de meilleurs prix que les officines, le constat est amer pour Gilles Bonnefond. « Les pharmaciens ne sont pas bien placés pour acheter, le rapport de force est déséquilibré face aux producteurs qui dictent leurs règles. Des laboratoires se permettent des refus de vente ou le boycott de certaines structures de regroupement à l’achat. Donnons plutôt au pharmacien la capacité de négocier ! »
De son côté, la présidente de l’Ordre des pharmaciens, Isabelle Adenot, rappelle les atouts indispensables des pharmaciens d’officine – conseil, traçabilité, proximité et indépendance – et l’excellence de la chaîne du médicament en France. « La pharmacie d’officine, la croix verte, est avant tout un lieu de santé publique et de service public, contrôlable et contrôlé par les autorités sanitaires. » Par ailleurs, elle se pose la question du nombre de pharmaciens que la GMS devrait recruter si l’ouverture du monopole se concrétisait : « Pour couvrir l’amplitude des horaires d’ouverture, il faudrait trois pharmaciens par point de vente, soit 6 600 diplômés en pharmacie. Où les trouve-t-on ? »
Une question de temps.
Face aux représentants des pharmaciens, Jacques Creyssel, président de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), ne mâche pas ses mots en arguant que la PMF ne représentant que 7 % de l’ensemble du médicament, l’officine ne serait donc pas mise à mal si cette part du monopole était mise en concurrence avec d’autres circuits de distribution. Pour lui, rien n’empêche un diplômé en pharmacie de délivrer un conseil, qu’il soit salarié d’une officine ou d’une grande surface, c’est pourquoi il milite pour la vente des médicaments sans ordonnance en GMS et l’inscription à l’Ordre de ces pharmaciens exerçant hors établissement pharmaceutique. Il assure par ailleurs que l’indépendance du pharmacien en GMS est possible, que la sécurité d’approvisionnement et la traçabilité ne posent aucun problème et qu’il n’y a pas matière à craindre une surconsommation de ces médicaments vendus en grande surface. Au final, une telle ouverture du monopole permettrait selon lui de proposer des prix de vente 15 % moins chers, notamment parce que les centrales d’achat des GMS feront des achats directs, sans passer par les dépositaires et les grossistes-répartiteurs. Quant à Gérard Becher, trésorier national de l’UFC-Que Choisir, il est convaincu que la vente de médicaments en grande surface n’est qu’une question de temps. Il regrette que « les pharmaciens français mènent un combat d’arrière-garde, en se positionnant comme des vendeurs de médicaments alors que nous attendons plus de leur part ». Une dernière assertion auxquelles les officinaux ne peuvent qu’adhérer : « La réforme est en cours avec la mise en place de nouveaux services, d’entretiens pharmaceutiques », souligne Gilles Bonnefond. Inutile donc de chercher un autre circuit de distribution.
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