LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Pourquoi avoir choisi le thème des « médicaments sur mesure » pour votre Forum ?
PR LUC GRISLAIN.- Nous choisissons généralement un thème dans l’air du temps. Cette année, le concept de « médicament sur mesure » nous a paru pertinent, car plusieurs entreprises régionales travaillent sur ce thème. De plus, c’est une piste de développement importante pour toute une industrie pharmaceutique qui a de plus en plus de difficulté à trouver de véritables axes d’innovation. Et cette problématique a attiré à Bordeaux quelque deux cents participants industriels, universitaires, représentants d’agences ou d’institutions.
Comment expliquer le manque d’innovation de l’industrie pharmaceutique ?
L’industrie « traditionnelle » est en panne, car la façon de découvrir de nouveaux médicaments a changé. L’époque des « blockbusters », des molécules « prêtes à porter » est révolue. Les nouvelles molécules n’apportent bien souvent que des améliorations minimes que les laboratoires ont de plus en plus de mal à démontrer, car cela nécessite le recours à des dizaines de milliers de patients et rend les essais très coûteux. Depuis les années 1980, le coût en recherche & développement d’une nouvelle molécule a été multiplié par 5 à 8.
En quoi diffèrent les nouveaux médicaments issus de ces biotechnologies ?
Jadis, on posait un diagnostic et on cherchait sur les étagères de la pharmacie le produit à donner au patient. Aujourd’hui, les nouveaux médicaments s’appuient sur une analyse précise des paramètres du malade et de sa pathologie, afin de lui dispenser une thérapie « sur mesure ». Pour affiner ces approches, d’énormes avancées ont été réalisées dans le domaine des diagnostics dits « compagnons ». Entrent ici en jeu, les progrès accomplis en matière de marqueurs diagnostic (cancers, sida, hypercholestérolémie, maladies neurodégénératives…) ou les espoirs suscités par les travaux sur l’ARN médicament, capable demain d’inhiber ou de favoriser la production d’une protéine pour traiter une maladie. Ces sujets, largement débattus lors de notre Forum, sont le fruit des recherches d’un foisonnement de laboratoires académiques et de start-up.
Les grands groupes pharmaceutiques sont-ils pour autant des dinosaures incapables de s’adapter et condamnés à disparaître ?
Les grandes entreprises formatées pour créer des « blockbusters » auront beaucoup de mal à s’adapter. Il faudrait qu’elles se scindent en petites entités, animées d’un esprit de start-up… Certaines évoluent en rachetant les innovations créées par d’autres : laboratoires académiques parfois, start-up le plus souvent.
Les sociétés de taille moyennes (2 000 à 3 000 salariés) réagissent mieux, car elles sont plus souples. Par exemple, IPSEN Beaufour dont le produit phare était le Smecta, a su négocier rapidement le virage des biotechnologies, grâce à un management éclairé. Les grands groupes, guidés par le cours de Bourse, font preuve de beaucoup moins de génie. Un cadre d’une ces grandes sociétés avouait récemment : « L’innovation, c’est trop compliqué pour nous. Nous n’avons pas le temps d’aller aussi loin qu’il le faudrait dans l’étude des mécanismes intimes de certaines pathologies. »
Quelles évolutions attendre sur l’emploi ?
Les petits assument les risques pour les gros. Frileuse, l’industrie regarde, laisse faire, parfois finance, puis rachète. À la satisfaction de tous. Cela représente un gisement de développement et d’emplois, mais il est difficile de dire si ces nouveaux emplois compenseront ceux perdus par l’industrie traditionnelle.
Comment se situe la France au cœur de ces mutations ?
Nous avons un train de retard sur l’Europe du nord, les États-Unis et même l’Inde ou Israël. Nous comptons beaucoup de petites entreprises et sociétés de service de haut niveau, mais peu de grands noms. Les autorités sanitaires aussi accusent un retard. Par exemple, un test permettant de dépister un type de cancer du sein existe depuis 10 ans, mais n’est remboursé que depuis un an. L’université aussi devra évoluer, créer de nouveaux diplômes, rassembler au-delà des pharmaciens, des ingénieurs, des biochimistes…
Et l’officine ?
On peut imaginer qu’une partie du marché des nouveaux médicaments risque de lui échapper car les produits issus des biotechnologies sont à 80 % injectables et délivrés en milieu hospitalier. Par contre, l’officine pourra dispenser kits de dosage ou tests de dépistage, permettant au patient de suivre l’évolution de sa pathologie et au pharmacien de l’aider à adapter son traitement. Ainsi, on ira de plus en plus vers des actes de dispensation éclairée.
** Institut de Pharmacie Industrielle de Bordeaux. Il gère la filière « Industrie » de la faculté de pharmacie de Bordeaux II (30 à 50 diplômés par an) et délivre différents diplômes industriels, du BTS au Master.
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %