PLUS INSIDIEUX qu’une épidémie, plus « bénéfique » que le trafic de drogue, le faux médicament prolifère sur fond d’impunité et de misère. Soulignant que « de toutes les injustices, la plus cruelle est celle qui touche à la santé », Jacques Chirac, président de la fondation éponyme, bat le rappel contre « la catastrophe sanitaire économique et sociale qui résulte de la mise sur le marché de médicaments dangereux ou inactifs, hors de tout contrôle ». Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), au moins 200 000 personnes seraient chaque année victimes de ce « véritable scandale ».
Des épisodes dramatiques sont évoqués : 300 victimes au Panama en 2006, à la suite de l’utilisation d’un excipient contrefait. Près de 100 bébés morts l’an dernier après avoir absorbé du faux sirop de paracétamol. Au total, 10 % du marché pharmaceutique mondial serait touché, pour un chiffre d’affaire de 45 milliards d’euros. Selon Amor Toumi (OMS), un comprimé de faux Viagra, qui coûte 0,05 dollar à fabriquer, est revendu sur Internet 3 dollars, ou 10 dollars sur le marché dit libre, avec une marge bénéficiaire qui varie de 6 000 à 20 000 %. Le trafic de faux médicament serait ainsi vingt-cinq fois plus lucratif que la vente de la drogue. Il explose : l’Organisation mondiale des douanes a comptabilisé l’an dernier dans 27 pays 907 saisies de médicaments non conformes, pour une valeur estimée à 89 millions d’euros, soit une hausse de 283 % par rapport à l’année précédente. Ces médicaments falsifiés provenaient à 54 % d’Inde, de Chine et des Seychelles. Mais tous les pays sont concernés. Aux États-Unis, d’après la Food and Drug Administration, le trafic a été multiplié par dix en cinq ans. Aux États-Unis, entre 10 et 12 % des médicaments seraient des faux.
Évidemment, ce sont les pays en développement qui sont les plus exposés au fléau : 50 % des médicaments sont touchés au Pakistan ou au Nigeria. Une étude du « Lancet » (vol. 357, 2001) a révélé que dans 8 pays d’Asie, 40 % des antipaludéens à base d’artésunate ne contenaient en fait aucun principe actif. Cette proportion atteindrait même 70 % dans les pays d’Afrique de l’Ouest (chiffres OMS).
Changer d’échelle.
En lançant son appel de Cotonou, Jacques Chirac veut donc inciter à la mobilisation tous les acteurs concernés : OMS, ONU, Union européenne, gouvernements, ONG, professionnels de santé, industrie pharmaceutique et associations de patients. Une convention pourrait réunir les uns et les autres autour de trois axes : l’adoption d’instruments répressifs forts, le renforcement du contrôle de la fabrication et des flux des produits pharmaceutiques et l’information et la sensibilisation des patients comme des professionnels de la santé. Après Cotonou, c’est Genève qui pourrait être la prochaine étape de la croisade, avec la tenue, fin 2010, d’une conférence internationale pour ratifier ce programme d’actions.
On en finirait enfin avec les bonnes paroles qui prolifèrent depuis des années, en parallèle avec les contrefaçons. Dès 1992, l’OMS réunissait à Genève une conférence pour sensibiliser l’opinion internationale au « boom criminel de la contrefaçon médicamenteuse ». À Madrid en 2004, puis à Rome en 2006, l’organisation onusienne avait demandé la création d’un groupe de travail mondial chargé de mettre en place les feuilles de route nécessaires et les outils d’application dans les domaines de la législation, de l’exécution des lois et de la communication sur les risques (« le Quotidien » du 17 février 2006). Aujourd’hui, martèle Jacques Chirac, « il faut changer d’échelle et de méthodes. Il est temps que les nations s’unissent sans arrière-pensée contre cette menace commune ». Mais stopper le trafic international ne suffira pas. Encore faut-il donner aux pays
fragiles les moyens d’accéder à des produits de qualité. L’ancien président évoque, pour ce faire, Unitaid, avec les financements innovants du développement et la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Une autre de ses initiatives, lancée conjointement avec le Brésilien Lula, en 2006.
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