LES MÉDICAMENTS CHERS, très chers, se multiplient. En tête de file, les anticancéreux sont les premiers à avoir imposé des tarifs particulièrement élevés. Sans soulever de polémique. Marc-André Gagnon, docteur en sciences politiques et professeur adjoint en politique publique à l’université Carleton à Ottawa (Canada), rappelle que la fin du business model reposant sur les blockbusters a poussé les industriels vers différentes stratégies, notamment vers un investissement dans les produits de niche. Mais certains de ces médicaments ont vu leurs indications se multiplier, et donc leur population-cible s’étendre, « comme l’imatinib (Glivec) ou le trastuzumab (Herceptin) qui ont progressivement été autorisés dans de nombreuses indications thérapeutiques sans que leur prix ne soit revu à la baisse ». Le chercheur souligne d’ailleurs qu’avec « des ventes respectives d’environ 5 et 6 milliards de dollars en 2012, ils ont atteint le statut de blockbusters, d’où la dénomination de nichebusters ».
Pour encourager la R & D dans les maladies rares, les politiques publiques ont mis en place des mesures dont les laboratoires se sont emparés. Aussi bien en Amérique du Nord que dans l’Union européenne, un produit peut obtenir le statut de médicament orphelin lorsqu’il est indiqué dans une maladie qui touche cinq individus ou moins sur 10 000 personnes. Le laboratoire qui développe ledit produit bénéficie d’un processus d’autorisation accéléré, de crédits d’impôts supplémentaires, de l’aide financière à la recherche et de périodes d’exclusivité plus longues. Les essais cliniques à mener incluent moins de patients et sont donc moins coûteux et le médicament qui arrive sur le marché, souvent sans alternative thérapeutique, offre au laboratoire un pouvoir de négociation fort face aux systèmes de santé. De plus, l’effort promotionnel est limité à des médecins spécialistes, ce qui réduit là aussi les coûts marketing. Mais voilà, « une politique de chèque en blanc aux firmes pour la fixation du prix des médicaments de niche met en danger la pérennité des systèmes de santé », remarque Marc-André Gagnon.
Tri des malades.
C’est dans ce contexte que le nouveau traitement de l’hépatite C, Sovaldi (sofosbuvir), développé par Gilead Sciences, a fait son apparition fin 2013. « C’est une exception car il présente un bénéfice thérapeutique élevé, contrairement à de nombreux anticancéreux qui coûtent des dizaines ou des centaines de milliers de dollars pour un gain de quelques semaines ou de quelques mois de vie, tout en ayant un risque d’effets indésirables graves très important », note Marc-André Gagnon. Il n’empêche que le coût reste un problème, même si l’arrivée du sofosbuvir est en soi une bonne nouvelle. « Avant 2010, pour traiter l’hépatite C on utilisait l’interféron, puis le peg-interféron, associé à la ribavirine, traitement aux nombreux effets indésirables que certains malades ne pouvaient pas prendre. Entre 2010 et 2013, des antiviraux directs sont arrivés en bithérapie, là aussi avec beaucoup d’effets indésirables, mais enfin, certains malades ont bénéficié de ces alternatives. Fin 2013, le sofosbuvir apparaît comme un nouvel antiviral d’action directe qui peut être utilisé sans interféron. Le taux de guérison est passé de 50 à 75 % environ. Mais quand on a vu le prix du traitement en ATU, l’espoir de soigner toutes les personnes ayant une hépatite C s’est envolé : 56 000 euros pour 12 semaines, 108 000 euros pour 24 semaines », décrit Marianne L’Hénaff, représentante des collectifs interassociatifs Traitements et Recherche (RTR-5) et Collectif Hépatites Virales (CHV). En France, seuls les malades prioritaires peuvent être traités : les greffés, en attente de greffe, atteints de cirrhose ou de précirrhose. L’an dernier, deux autres antiviraux directs sont arrivés sur le marché, le siméprévir (Olysio) et le daclatasvir (Daklinza), à 35 000 euros le traitement, à administrer en association avec le sofosbuvir.
Le prix est donc à l’origine de restrictions d’accès qui révoltent les associations de malades. Au final, les négociations entre l’État et Gilead ont abouti à un prix de 41 000 euros pour un traitement de 12 semaines au sofosbuvir. Même si la baisse obtenue est de 25 %, le prix reste très élevé, « surtout quand on sait que le coût de production est d’environ 100 euros ». Pour Marianne L’Hénaff, il reste inadmissible d’imposer un tri des malades pouvant bénéficier du traitement : « les patients doivent attendre que leur foie se dégrade pour espérer être traités ; et les médecins ont tendance à faire du tri parmi les malades éligibles au traitement, en écartant les migrants, les détenus, les usagers de drogue… ». Si les associations reconnaissent l’effort de l’État qui a mis en place plusieurs mesures législatives pour limiter le coût du Sovaldi, elles relèvent surtout que « le prix final est difficile à évaluer ».
Rééquilibrer le rapport de force.
La dérive des prix ne s’explique pas, selon Marc-André Gagnon, par le besoin de compenser les coûts de R & D mais par l’objectif des entreprises de « maximiser les profits » et d’obtenir le prix « maximum de ce que les acheteurs sont prêts à payer ». La sociologue Gaëlle Krikorian, spécialiste de la propriété intellectuelle, en particulier dans le domaine pharmaceutique, voit une nouvelle tendance qui s’appuie sur « le fait, pour certaines firmes, de spéculer sur la santé et de faire payer aux malades et à la société leurs coups financiers ». Ainsi, les prix élevés financent « l’investissement spéculatif d’une firme qui en rachète une autre pour bénéficier de ses brevets ». La sociologue pointe du doigt les fameux brevets, qui conduisent « à faire payer des médicaments trop cher à l’État et aux malades, pour financer une recherche dont les priorités sont fixées par l’industrie et qui, trop souvent, ne correspondent pas aux besoins sanitaires des populations ». Des outils juridiques offrent pourtant une marge de manœuvre aux États, qui peuvent par exemple lever la protection donnée par les brevets dans certaines situations, et notamment en cas de « prix anormalement élevé ». « Il faut sortir d’une situation où les firmes ont le monopole sur le produit de la recherche, insiste Gaëlle Krikorian, il faut oser défendre l’universalité de l’accès aux soins, refuser une logique de rationnement, rééquilibrer le rapport de force entre les intérêts particuliers et l’intérêt général. » Et surtout, il faut insister, comme le fait Marc-André Gagnon, sur le fait qu’un « traitement qui coûte trop cher et auquel le patient n’a pas accès n’est pas plus efficace qu’un traitement qui n’existe pas ».
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