Depuis 2011, l’Académie nationale de pharmacie s’inquiète des ruptures de stocks croissantes en matières premières de médicaments, liées à la mondialisation de la fabrication pharmaceutique. Après avoir alerté pour la 4e fois sur le sujet en février dernier, l’instance a enfin l’oreille des autorités.
Car la crise du Covid-19 a d’abord été ressentie en Europe par le biais des menaces sanitaires découlant de la fermeture des sites industriels chinois et des frontières. Pour les académiciens, « il faut créer les conditions d’une relocalisation en Europe de la synthèse des substances actives ». Une position également défendue de longue date par le réseau Polepharma, fédérant la production pharmaceutique européenne, et qui a fait de nombreux adeptes au cours des dernières semaines.
Le gouvernement avait commencé à plancher sur le sujet avant la crise du Covid-19 (voir édition « abonné »). Le 30 septembre dernier, le Premier ministre a missionné Jacques Biot, ancien président de l’École Polytechnique, pour analyser les causes industrielles des pénuries de médicaments et lister les solutions à envisager. L’ingénieur a remis son rapport en février dernier, le gouvernement s’en est largement inspiré avant de le rendre public le 18 juin, en même temps qu’il annonçait la première relocalisation emblématique en France, celle de toute la chaîne de production du paracétamol d’ici trois ans. C’est justement le temps nécessaire, explique David Simonnet, membre de Polepharma et fondateur du groupe de chimie Axyntis, pour réimplanter un principe actif qu’on ne fabrique plus.
Dépendance sanitaire inquiétante
Mais encore faut-il réunir les conditions permettant cette relocalisation. Et se rappeler les raisons qui ont mené aux délocalisations. Au début des années 2000, ce mouvement avait pour raison d’être l’amélioration des coûts de production et le déplacement des sites polluants. Il visait en premier lieu les médicaments matures. En France et ailleurs, l’encadrement des prix entraîne des baisses substantielles de rentabilité. Certains médicaments étant ainsi vendus à perte. Les marchés asiatiques ont apporté une réponse satisfaisante à la maîtrise des coûts de production. Mais au prix d'une dépendance sanitaire inquiétante. Pour Jacques Biot, il n'y aura pas de relocalisation sans « la capacité de l’État à garantir une exploitation acceptable par les industriels ». Il propose ainsi que le Comité économique des produits de santé (CEPS), chargé de la fixation des prix des médicaments en France, puisse « prendre en considération les perspectives industrielles » et ainsi « moduler, annuler, voire inverser les baisses de prix imposées à certaines spécialités anciennes ».
Outre cette « condition sine qua non », Jacques Biot appelle aussi à « doter l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) d’un système d’information moderne, intégrant de manière automatisée une cartographie détaillée et à jour, opérateur par opérateur et site par site, de l’ensemble des étapes de production de la totalité des spécialités commercialisées ». En effet, le processus de fabrication d’un médicament implique une succession d’étapes – de 5 à 40 pour la synthèse de principe actif, plusieurs autres pour la mise sous forme pharmaceutique et pour les conditionnements primaires et secondaires – qui doit être documentée dans le dossier d’AMM et détaillée avec les différents opérateurs responsables et les sites de réalisation. Toute modification, ne serait-ce que le changement d’un opérateur pour une étape, implique une modification du dossier d’AMM.
Éviter les pénuries du futur
Troisième condition indispensable pour favoriser la relocalisation : la priorisation. Il n’est pas envisageable de réimplanter la chaîne de tous les médicaments en France ou en Europe, il est donc nécessaire de déterminer les molécules qui doivent en bénéficier. « Il va donc s’agir de médicaments à la fois essentiels et menacés. Mais pour évaluer cette menace, le système d’information moderne préconisé pour l’ANSM est incontournable, ajoute Jacques Biot. Cela semble évident pour certains produits qui ont déjà été exposés aux pénuries, comme les curares ou les antibiotiques, mais il faudra une analyse fine pour détecter des productions à risques et éviter les pénuries du futur. »
D’autres obstacles devront être levés, notamment ceux liés à la main-d’œuvre. La délocalisation a entraîné ces vingt dernières années une perte des compétences et l’absence du renouvellement des formations de ces travailleurs. « Il est encore temps. La France a encore les compétences sur son territoire et les industriels sont demandeurs, ils souhaitent s’investir si l’État leur fournit certaines garanties. On le voit avec Sanofi qui s’est engagé à créer un leader européen des principes actifs pour développer les capacités d’approvisionnement pour l’Europe et au-delà, ainsi qu’avec des industriels de plus petite taille. » Quant au respect des règles environnementales, il s'agit certainement de l’un des obstacles les plus difficiles à lever puisque c’est justement l’une des raisons qui a incité à délocaliser. Pour autant, créer aujourd'hui de nouveaux sites chimiques Seveso n’est pas une mince affaire et remporte peu l’adhésion de la population.
200 millions d'euros
Le retour dans l’Hexagone de toute la chaîne de production du paracétamol n’est qu’une première étape. Le gouvernement français a ainsi lancé une « initiative de relocalisation de certaines productions critiques » et a mis à disposition une « première enveloppe de 200 millions d’euros en 2020 ». Six projets ont déjà été sélectionnés pour un montant de 78 millions d’euros avec des laboratoires comme Abivax ou Xenothera. Restent 120 millions d’euros qui seront attribués dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, publié le 18 juin.
La France, et plus globalement l’Europe, parviendront-elles à retrouver leur indépendance sanitaire ? C’est en tout cas le but recherché par le gouvernement, tout comme par Sanofi et son projet de leader européen des principes actifs pharmaceutiques. La dernière clé de ces relocalisations, Jacques Biot la voit dans la coopération internationale – et pas seulement européenne. Car il s'agira d'harmoniser les pratiques réglementaires, partager les informations quant aux risques de pénuries et coordonner les réponses industrielles et sanitaires.
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